Le pousse-au-crime
Donald Trump a appuyé deux fois sur la détente d’une arme de destruction massive destinée à tuer le peu de paix qui reste au Moyen-Orient.
Donald Trump aime beaucoup les armes. On l’a vu récemment mimer – et avec quelle vulgarité ! – l’exécution des victimes du Bataclan par les terroristes. Il est à son affaire devant ses amis de la National Rifle Association. Mais il ne fait pas que mimer. En l’espace d’une semaine, il a appuyé deux fois sur la détente d’une arme de destruction massive destinée à tuer le peu de paix qui reste au Moyen-Orient, et à anéantir l’espoir. De simples mots ont suffi. Car, pour le passage à l’acte, le gouvernement israélien est toujours là. Quarante-huit heures après que le président américain eut déchiré l’accord sur le nucléaire, une pluie de missiles s’abattait sur les sites iraniens en Syrie. Et lundi, à l’heure même où l’Amérique de Trump inaugurait son ambassade à Jérusalem, l’armée israélienne tirait sur la foule à Gaza. Ici, le parallélisme des images, la liesse arrogante d’un côté, le massacre de l’autre, frappe l’imaginaire comme un résumé de soixante-dix ans de tragédie palestinienne. Plus de cent morts depuis le début des manifestations, soixante pour cette seule journée du 14 mai, et 1 200 blessés. Et, parmi eux, combien de mutilés et de handicapés à vie ? Mais aussi combien de terroristes de par le monde pour demain, qui, le plus souvent non Palestiniens, se référeront à cette sanglante injustice ? Des terroristes dont, au jour de leur crime, on cherchera les antécédents, dont on interrogera les proches, dont on démontera les ordinateurs. Mais toujours en ignorant l’origine, parfois distante d’une génération, de leur vocation mortifère.
Car ceux qui disposent de la force absolue peuvent bien jouir à l’infini de leur écrasante supériorité et de leur totale impunité pour tuer et humilier. Ils peuvent bien mentir, tenir les manifestants pour responsables de leur propre mort, ou incriminer le Hamas pour une mobilisation qu’il n’a fait que récupérer, mais ils ne peuvent mesurer l’onde de choc que produit leur crime. Il se trouve que quarante-huit heures avant cette terrible journée de lundi, un terroriste français d’origine tchétchène a tué dans les rues de Paris. Comment ne pas penser que ce personnage, même venu tôt en France, et naturalisé, ne portait pas quelque part en lui, la tragédie de son peuple écrasé par les bombes de Poutine en 1999 et 2000 ? Une guerre d’extermination qui se solda par l’anéantissement de 15 % de la population. On ne peut ni prévoir ni maîtriser le ressentiment secret et diffus qui chemine dans des esprits tourmentés, et excités par des sectes criminelles, et qui rejaillira on ne sait quand, on ne sait comment et, surtout, on ne sait contre qui.
Bien sûr, ce qui est dit ici n’invalide pas l’action de la police, et de la justice. Ni n’exonère le criminel de son crime. Mais n’oublions jamais le temps long de l’histoire. Par une extraordinaire ironie des circonstances, des experts, qui s’interrogaient, ce même lundi à la télévision, sur le profil du jeune homme, en sont venus à louer l’efficacité israélienne dans la lutte antiterroriste. Comme si le gouvernement israélien n’était pas d’abord un producteur de terrorisme, et comme si une paix véritable, c’est-à-dire imposant la création d’un État palestinien, ne serait pas plus efficace que toutes les techniques policières, et toutes les répressions.
Ce qui s’est passé lundi à Gaza ressemble à ce qu’on a vu en 2011 en Syrie lorsque l’armée de Bachar Al-Assad a pareillement tiré sur des foules pacifiques et désarmées aux premières semaines de la révolution, faisant le jeu du jihadisme. Les victimes de Gaza et de Damas ou Deraa se ressemblent étrangement. Et on peine à croire que leur descendance sera paisible. Ne ferait-on pas mieux d’amener le gouvernement israélien à renoncer à une folle ambition coloniale qui repose sur un racisme d’État en contradiction avec tous les principes du judaïsme ? Au lendemain de ce lundi rouge sang, on aimerait pouvoir se tourner vers l’Union européenne. Mais les mots qui viennent de ce côté sont d’une insigne faiblesse. De Paris et de Bruxelles, ce ne sont que « molles condamnations » et appels « à la retenue », comme s’il fallait prévenir un crime qui n’a pas encore eu lieu.
On aurait pu imaginer que les capitales européennes, en réponse à Trump, décident de reconnaître la Palestine, même symboliquement, et qu’elles envisagent enfin un train de sanctions à l’égard d’Israël. Mais rien de tout ça n’est à l’ordre du jour. Et pour cause ! Les événements de ces dernières semaines ont mis une nouvelle fois en évidence l’inexistence politique de l’Europe. Les exhortations européistes d’Emmanuel Macron à Aix-la-Chapelle sonnent creux au moment où l’hyperpuissance américaine s’apprête à sanctionner les entreprises françaises et allemandes qui ont investi en Iran, et qui, faute de résistance, n’auront d’autre solution que de plier bagage. Au lieu d’une politique concertée, Paris et Berlin vont tenter chacun de leur côté de sauver ce qui peut l’être, fût-ce aux dépens de l’autre, et du peuple iranien. Et ne revenons pas ici sur les assauts d’amitié du président français à l’égard de Donald Trump, l’homme qui aime trop les armes pour aimer les peuples.
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