UE : des milliards pour les armes
L’Union a lancé l’an dernier un fonds destiné à soutenir la coopération des industriels européens de défense.
dans l’hebdo N° 1505 Acheter ce numéro
Le document de travail a circulé fin avril : la Commission européenne, qui prépare le budget 2021-2027 de l’Union, propose d’affecter 10,5 milliards d’euros au Fonds européen de défense pour la période. Soit 1,5 milliard d’euros par an. L’enveloppe serait destinée pour un tiers à des projets de recherche sur des systèmes d’armes émergents, les deux tiers restants allant au développement de capacités militaires dont la technologie est mature. Dans la droite ligne d’une phase préparatoire inaugurée en juillet 2017 par la création de ce Fonds, doté de 90 millions d’euros pour la recherche et d’un milliard pour le développement sur la période 2019-2020.
Objectif : doter l’Union d’une capacité d’intervention militaire autonome vis-à-vis de l’Otan et surtout de Washington, en rationalisant les dépenses. « Les Vingt-Huit comptent 178 systèmes d’armes différents, contre 30 aux États-Unis », plaide la Commission, qui estime qu’une coordination pourrait réduire les coûts d’un tiers. « Mais ce financement communautaire ne serait soumis à aucun contrôle des exportations, compétence que l’Union laisse aux États, déplore Federico Santopinto, du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (Grip) à Bruxelles. Or, chaque pays interprète à sa guise les garde-fous communautaires et restera de toute manière propriétaire des futurs matériels produits grâce à ce fonds, qui n’est qu’au service d’une politique industrielle. »
Pas sûr pour autant que les gros bras de l’armement se frottent les mains, « car les aides seront attribuées à des projets correspondant aux besoins identifiés par l’Union ». Cette logique conduira ainsi à développer un unique avion de combat, là où cohabitaient le Gripen (Suède), le Rafale (France) et le Typhoon (Allemagne, Espagne, Italie et Royaume-Uni).
Une famille palestinienne porte plainte
Le 17 juillet 2014, au cours de l’opération « Bordure protectrice » de l’armée israélienne dans la bande de Gaza, un missile s’abat sur la maison de la famille Shuheibar. Afnan, Wassim et Jihad, âgés de 8, 9 et 10 ans, sont tués, deux autres enfants grièvement blessés. Dans les débris du missile, un composant de fabrication française, un capteur de l’entreprise Eurofarad, aujourd’hui Exxelia. En juin 2016, avec le soutien de l’ONG Acat (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture et de la peine de mort), la famille palestinienne a porté plainte en France contre l’industriel pour « complicité de crimes de guerre » et « homicide involontaire » auprès du procureur de la République.
Classée sans suite en janvier dernier, l’affaire se poursuit, car la famille a renouvelé sa plainte en juillet 2017, cette fois avec constitution de partie civile. Pour Hélène Legeay, responsable des programmes Maghreb-Moyen-Orient à l’Acat, rendre justice à la famille Shuheibar est aussi une manière de porter, enfin, les crimes de guerre commis par l’armée israélienne devant une cour de justice. Et de mettre en cause la responsabilité de la France et de ses industriels qui continuent à lui fournir des armes en toute connaissance de cause : « On ne vend pas n’importe quoi à n’importe qui, et surtout pas à un pays dont les violations du droit international ont été à plusieurs reprises dénoncées par des rapports des Nations unies. » Pour elle, quelle que soit l’issue des poursuites, la plainte en soi est déjà un avertissement : « Les exportations d’armes ont des conséquences et les industriels en sont coresponsables. »
Loin des considérations sur la valeur ajoutée économique et stratégique pour l’Union, le Réseau européen contre le commerce des armes est en campagne contre ce fonds depuis son annonce, en septembre 2016 : _« Pas un euro de l’UE pour l’industrie des armes. »