Un emploi, c’est aussi un travail
On ne peut pas résoudre la pénurie d’emplois en faisant l’impasse sur la dimension qualitative du travail.
dans l’hebdo N° 1504 Acheter ce numéro
Puisqu’il y a 5 millions de demandeurs d’emploi, pourquoi ne pas les recruter pour renforcer les services publics ? Le projet d’« État employeur en dernier ressort » (EEDR) de l’économiste Hyman Minsky, repris par Bernie Sanders ou par la France insoumise, paraît frappé au coin du bon sens (1).
Pourtant, le projet me semble inadapté au cas de la France. Pour Pavlina Tcherneva, la conseillère de Sanders, il s’agit de proposer à tous les chômeurs un emploi payé au salaire minimum. Mais pour réaliser quel travail ? Avec quelles qualifications ? Elle constate avec raison qu’« il y a d’immenses besoins dans les services aux collectivités locales, aux personnes ou à l’environnement ». Mais les satisfaire suppose un travail qualifié, qu’on ne peut pas en général rémunérer au Smic.
Minsky prônait de « prendre les chômeurs tels qu’ils sont et d’adapter les emplois publics à leurs compétences ». Or, plus des trois quarts des chômeurs sont des travailleurs qualifiés, 50 % ont au moins le bac. Sans doute, les qualifications de certains ne correspondent pas toujours aux besoins : il faudrait alors leur proposer non pas des emplois au rabais mais des formations de reconversion débouchant sur des embauches normales dans les services publics. Un emploi, c’est aussi un travail : on ne peut pas résoudre la pénurie quantitative d’emplois en faisant l’impasse sur la dimension qualitative du travail.
L’EEDR consiste à créer des emplois non qualifiés payés au Smic horaire afin de réduire le chômage. Or, c’est ce qu’on fait en France depuis plus de trente ans avec les emplois aidés dans le secteur non-marchand pour des chômeurs de longue durée, employés à des tâches peu qualifiées et peu rémunérées – « animateur jardin », « animateur mobilité », « agent de paisibilité », « animateur de tri »… Des emplois certainement utiles, qui fournissent à des personnes en grande difficulté une insertion sociale et un revenu, même si les études montrent que peu d’entre elles parviennent à accéder ensuite à un emploi « normal ».
Il faudrait certainement accroître le nombre de ces emplois aidés – qui a fluctué entre 500 000 (en 2000) et 200 000 (en 2008 et 2018) –, au lieu de le réduire comme le fait Macron. Mais il s’agit d’une politique sociale ciblée sur les personnes en difficulté – comme les « territoires zéro chômeur de longue durée » en cours d’expérimentation avec ATD-Quart Monde dans plusieurs départements –, pas d’une politique macroéconomique d’éradication du chômage.
Une telle politique devrait combiner, dans le privé comme dans le public, la réduction du temps de travail, compensée par des embauches, avec la création d’emplois supplémentaires de personnels qualifiés pour les besoins sociaux et écologiques non encore satisfaits. L’EEDR, quant à lui, ne se distingue guère de la pratique traditionnelle des emplois aidés, une politique sociale utile mais résiduelle.
(1) « Et si l’État créait lui-même les emplois pour combattre le chômage ? », Romaric Godin, Mediapart, 19 janvier 2018.
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