Une épouvantable routine
Une grande partie de la classe médiatique française œuvre à la « déshumanisation des Palestiniens ».
dans l’hebdo N° 1504 Acheter ce numéro
C’est devenu, depuis un mois et demi, une espèce d’épouvantable routine, où l’horreur et l’obscénité vont crescendo : des Palestinien·ne·s manifestent pacifiquement contre le blocus de Gaza, et des snipers de l’armée israélienne leur tirent dessus – à balles réelles.
Le 30 mars dernier – horreur –, seize manifestant·e·s avaient ainsi trouvé la mort dans ce que la presse française avait appelé – obscénité – un « face-à-face meurtrier ».
Mais ce n’était qu’un début : ce 14 mai, pendant que le gendre de Donald Trump fêtait sur place (et avec des pasteurs antisémites) le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, ce sont « au moins cinquante-huit Palestiniens » qui « ont été tués » – et plus de 2 400 autres blessés – « par des tirs de soldats israéliens, selon le ministère de la Santé de Gaza (1) ».
Et de nouveau la presse et les médias français, décidément cadenassés dans leur manie, ancienne déjà, et de plus en plus offensante, d’atténuer par des euphémismes la gravité de ces crimes, ont présenté cette abominable tuerie de masse comme des « affrontements meurtriers » (Le Figaro, LCI) ou – variante – des « heurts meurtriers » (France 24).
Après quoi, Le Monde a – très justement – déploré, dans un éditorial dénonçant enfin « un carnage […] perpétré […] sur des civils cherchant à franchir une frontière, sans autre arme que leur désespoir », la « déshumanisation quasi totale des Palestiniens par une grande partie de la classe politique et de la société israéliennes (2) ». Et cela était fort louable.
Mais, pour être complètement complet, ce vénérable journal devrait aussi considérer que, lorsqu’elle attribue à des « affrontements » ou à des « heurts » la responsabilité d’un massacre perpétré par des soldats israéliens – qui généralement reçoivent ensuite les très chaleureuses félicitations de MM. Lieberman et Netanyahou –, une (très) grande partie de la classe médiatique française œuvre, elle aussi, par la suggestion dégueulasse qu’il y aurait une espèce de symétrie entre leurs rassemblements pacifiques et leur répression sanglante, à cette « déshumanisation quasi totale des Palestiniens (3) ».
Car il faut le répéter à l’envi : ce ne sont ni des « affrontements » ni des « heurts » qui ont tué ou blessé à Gaza, depuis un mois et demi, tant de manifestant·e·s – dont des enfants. Ces meurtres sont l’œuvre d’un gouvernement qui s’adonne, au nom de la contention d’une « menace terroriste », à l’« emploi systématique de mesures d’exception et/ou de la violence pour atteindre un but politique ».
Est-ce que ça ne porte pas un nom ?
(1) Le Monde, 14 mai 2018.
(2)Le Monde, 15 mai 2018.
(3) Le New York Times, qui avait d’abord annoncé, dans un accès d’indignité, que « des douzaines de Palestiniens » avaient « trouvé la mort »dans les manifestations du 14 mai, a ensuite modifié ce titre pour un plus décent :_ « Des soldats israéliens ont tué des douzaines de manifestants palestiniens sur la frontière de Gaza, et en ont blessé plus de 1 000 autres. »_
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.