Une monstrueuse affaire
Malgré les proclamations de lutte contre le terrorisme, nous savons aujourd’hui qu’un groupe industriel français de quelque importance a bel et bien participé au « financement détourné de Daech ».
dans l’hebdo N° 1501-1502 Acheter ce numéro
Le 25 avril dernier, se tenait à Paris – conformément au souhait d’Emmanuel Macron, président de la République française, qui l’avait appelée de ses vœux – une « conférence de lutte contre le financement de Daech et d’Al-Qaïda et des groupes et individus affiliés à ces organisations ». Dans le cours de cette journée, Gérard Collomb, ministre français de l’Intérieur, a notamment rappelé que, « pour lutter efficacement contre le terrorisme, identifier et tarir ses sources de financement est essentiel ». Après quoi, Emmanuel Macron a quant à lui proclamé, pour clôturer ce congrès : « Notre engagement contre le financement détourné doit être concret. »
Or, nous savons aujourd’hui qu’un groupe industriel français de quelque importance a bel et bien participé au « financement détourné de Daech », et probablement d’autres gangs « et individus » du même abject acabit : selon l’ONG Sherpa, ce groupe – Lafarge, dont la haute moralité remonte à loin déjà, puisqu’il avait, naguère, participé aussi à la construction, pour les nazis, du mur de l’Atlantique (1) – a en effet versé, entre 2013 et 2014, pour maintenir son activité en Syrie, plusieurs millions de dollars à des organisations jihadistes, dont l’État islamique (EI).
Nous savons également – par son ancien directeur de la sûreté – que ce groupe a très régulièrement « fourni » à plusieurs services secrets français – dont la DGSE et la DGSI –, qui n’ont bien sûr pas pu ne pas en référer à leurs tutelles respectives, « de nombreux renseignements » relatifs à ce mécénat (2). Pour le dire autrement – et en détachant bien chaque mot : nous savons que l’État français était parfaitement informé du fait qu’une entreprise hexagonale finançait Daech. Mais qu’il n’a strictement rien fait pour mettre un terme à ce gigantesque scandale, puisque, tout au contraire, pour mieux « préserver » ses « investissements (3) » dans cette région ravagée par la guerre, la France aurait même « demandé aux États-Unis de ne pas bombarder la cimenterie » syrienne de Lafarge « lorsque celle-ci était occupée par Daech à l’automne 2014 ».
Et, certes, ni Gérard Collomb ni Emmanuel Macron – qui a, quant à lui, préféré fustiger les « groupes qui, au nom d’actions caritatives, détournent des fonds à des fins terroristes » – n’ont, que l’on sache, cru devoir évoquer ce scandale colossal durant la conférence du 25 avril. Et certes encore : cette retenue peut paraître – pour le moins – extrêmement étonnante, au regard, notamment, de la férocité que ces deux personnages investissent, ailleurs, dans la répression. Mais gageons qu’ils veilleront l’un comme l’autre, et avec une détermination toute particulière, à ce que tous les responsables et complices directs et indirects (jusqu’au plus haut niveau de l’appareil gouvernemental, dans lequel le second détenait en 2014 le maroquin de l’Économie) de cette monstrueuse opération de financement des auteurs des attentats parisiens de novembre 2015 soient poursuivis et, le cas échéant, condamnés…
(1) Télérama, 22 mars.
(2) Libération, 22 avril.
(3) Le Figaro, 25 avril.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.