Universités : le grand flou de la sélection
Le 22 mai, les lycéens recevront leurs premières affectations sur Parcoursup. Combien atterriront sur liste d’attente ?
dans l’hebdo N° 1503 Acheter ce numéro
C ’est ça ou la déscolarisation », ironise un lycéen sur Internet. Alors qu’ils devraient recevoir leurs premières affectations sur Parcoursup le 22 mai, des élèves de terminale, sur les forums et les réseaux sociaux, préfèrent en rire – avant d’avoir à en pleurer ? « Les futurs bacheliers sont plus inquiets que leurs prédécesseurs », constate la sociologue de l’éducation Sophie Orange.
Alors que la loi orientation et réussite des étudiants (ORE) a été promulguée au printemps, son bras armé, Parcoursup, est expérimenté depuis le mois de janvier, date à laquelle les lycéens ont formulé leurs vœux d’orientation. Le dispositif prévoit que les dossiers des élèves soient étudiés directement par les personnels universitaires, qui devaient transmettre les résultats au rectorat le 16 mai. Si APB, le précédent dispositif, laissait 20 % d’élèves sans affectation au premier jour des résultats, pour Parcoursup, c’est l’inconnu. Contre 24 choix d’orientation classés sur APB, Parcoursup n’en propose plus que 10, non hiérarchisés cette fois. Selon un rapport de la Cour des comptes publié en 2017, cette absence de hiérarchisation pourrait laisser près de la moitié des lycéens en attente.
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En plus de ces vœux, les lycéens ont été invités à remplir une « fiche d’avenir » regroupant les notes, les appréciations et les avis de leurs professeurs. Ils avaient la possibilité d’ajouter un « projet de formation motivé ». Comprendre : une lettre de motivation. « Rien ne nous permet de juger des notes des lycéens ! », s’indigne Philippe Blanchet, professeur de sociolinguistique et didactique de la communication à l’université Rennes-II. Comme ses collègues des départements de psychologie, de sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) et de sciences de l’éducation, il s’est refusé à étudier les candidatures en commission pédagogique, comme le requiert pourtant Parcoursup.
Selon des chiffres communiqués par la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal, les universités françaises ont reçu 6,3 millions de vœux, exprimés par 810 957 candidats. « Nous n’avons pas le temps de lire tous ces dossiers », explique Philippe Blanchet. « Il faudra un peu de temps pour que les choses se mettent en place, l’outil Parcoursup est nouveau », admet de son côté la députée La République en marche Anne Brugnera, en charge du suivi de la loi ORE pour son groupe à l’Assemblée nationale. Elle rappelle que, pour accompagner les professeurs dans l’étude des dossiers, un module a été mis en place par le ministère, permettant de classer les dossiers selon plusieurs paramètres : notes, appréciations… Un outil difficile à utiliser pour les départements dont les enseignements n’ont pas été dispensés au lycée. Comment présumer des capacités des élèves à réussir dans des matières comme le droit ou la psychologie, par exemple ? Avec les Staps et la Paces (première année commune aux études de santé), ces filières constituent 47 % des candidatures. Des filières sous tension qui peinent à absorber les demandes.
À l’université de Lille, en Staps, l’initiative Parcoursup a pourtant été bien accueillie. À quelques jours de l’envoi des résultats de la commission au rectorat, la sélection des dossiers est en passe d’être achevée. « Comme nous sommes une filière sous tension, nous avions déjà réfléchi à un système de classement des étudiants selon des critères de compétences en sciences (physique, mathématiques), argumentaires (français, philosophie), sportives, citoyennes (associations, responsabilités dans des clubs sportifs, Bafa) et en fonction des fiches avenir », détaille Guillaume Penel, doyen du département. Selon lui, les bons élèves au lycée sont les plus susceptibles de réussir la licence. Près de la moitié des candidatures dans son département pour la rentrée 2018 proviennent de lycéens issus de terminale S. Seuls 10 % environ sont issus de baccalauréats technologiques et professionnels. « Nous sommes une filière sélective », assume-t-il.
« Sélection ». C’est bien ce dont la loi ORE est accusée. Alors que le baccalauréat était jusqu’ici la seule condition d’accès des lycéens aux universités, celles-ci sont désormais autorisées à choisir leurs élèves. « Ce n’est pas une sélection, c’est une orientation », insiste Anne Brugnera. Parcoursup propose en effet trois types de réponse. Outre le « oui » et le « en attente » (qui est aussi un « non » poli), les élèves peuvent se voir répondre un « oui, si ». Il leur sera proposé, en plus des cours classiques, un accompagnement renforcé. Tutorat, cours de remise à niveau, enseignements par niveau… Ce dispositif est laissé à l’appréciation des établissements, qui, pour l’instant, sont bien en peine de détailler concrètement ce qui attend les élèves à la rentrée.
« Cette réforme individualise les parcours au sein du lycée, alors même que l’on sait que ces processus d’individualisation sont défavorables aux élèves les plus fragiles et les moins bien dotés socialement », dénonçaient déjà des enseignants de l’université Paris-I-Tolbiac, lors d’une assemblée générale qui s’est tenue le 18 avril. Tout comme celle de Tolbiac, de nombreuses universités se sont élevées contre la réforme – Toulouse-Le Mirail, Nancy, Lyon-II, Lille, Nantes, Montpellier, Grenoble, Strasbourg, Dijon, Bordeaux, Rennes-II, Nanterre (cette dernière étant toujours bloquée par les étudiants) – et les mobilisations ont été durement réprimées. Alors que plusieurs manifestations ont été organisées contre la mesure, peu de lycéens sont venus grossir les cortèges. « Ils ont le bac en ligne de mire », rappelle Sophie Orange. De trop longues listes d’attente lors des résultats de Parcoursup pourraient cependant déclencher une vague de manifs lycéennes. Et la sociologue de l’éducation d’envisager : « Cela pourrait venir des élèves de seconde ou de première, qui n’ont pas envie de vivre la même chose. »