Voix de passage

Spectacle hybride, L’Ailleurs de l’autre offre une ode chorale à la diversité culturelle et à la transmission orale.

Jérôme Provençal  • 3 mai 2018 abonné·es
Voix de passage
© photo : Monica Nunes

Comme son titre le suggère, L’Ailleurs de l’autre est un (joli) défi à la géolocalisation et à l’uniformisation, bienvenu en ces temps de crispation identitaire. Élaboré en binôme par Aliénor Dauchez, plasticienne et metteuse en scène férue de musique contemporaine, et Geoffroy Jourdain, directeur artistique de l’ensemble vocal Les Cris de Paris, ce spectacle hybride – quelque part entre danse/performance et théâtre musical – est construit sur la réinterprétation d’une myriade de chants féminins.

Provenant d’enregistrements ethnomusicologiques du XXe siècle, ces sons aux fonctions sociales variées ont été collectés en Amazonie, en Éthiopie, en Macédoine, en Centrafrique ou encore en Inde du Sud. Ils forment un paysage musical bigarré auquel s’ajoute une œuvre originale (Pendulum) de la compositrice allemande Hanna Eimermacher.

Situé dans un futur incertain, sans doute lointain, L’Ailleurs de l’autre met en scène six femmes qui découvrent ces documents sonores et s’attachent à leur redonner vie sans en connaître ni l’origine ni la signification. Déambulant sur le plateau, dont une partie est masquée par des structures métalliques, elles vont et viennent affublées d’accessoires ou de vêtements souvent improbables. Elles peuvent ainsi se retrouver avec une caisse en bois vissée sur la tête, un cube en peluche accroché dans le dos, ou encore une planche encastrée au niveau du ventre.

Ainsi accoutrées, et parfois empêtrées, ces créatures chimériques exécutent en chantant divers rituels énigmatiques au fil de saynètes plus ou moins fantasques, teintées d’une douce étrangeté. Sous l’influence de Dada, entre autres possibles pères (très) spirituels, le tout évoque aussi bien un défilé de mode décalé qu’une procession sans Dieu ni tête.

S’il manque un peu de dynamique scénique au début, le spectacle, d’une grande ampleur musicale, gagne en relief petit à petit et atteint sa pleine résonance à la fin. Corps et visages peints à la façon de danseuses sacrées, les six protagonistes entonnent un ultime chant. Long murmure incantatoire, il passe d’abord de l’une à l’autre puis se propage au-delà, les interprètes quittant la scène pour s’immiscer dans la salle et le glisser d’un souffle léger aux spectateurs avant de disparaître.

Une superbe évocation de la transmission orale, qui clôt en beauté cette très singulière fable chorale.

L’Ailleurs de l’autre, 4 mai, salle Ravel, Levallois-Perret ;10 et 11 octobre, Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines ; 23 octobre, Théâtre des Quatre-Saisons, Gradignan.

Théâtre
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