Arago : un premier procès « positif »
Les inculpés du lycée Arago sont sortis libres du tribunal de Paris. Le procès a été renvoyé au 4 décembre.
Il n’y avait pas assez de place pour tout le monde dans la salle 604 du tribunal de grande instance de Paris, ce vendredi. Remplie avant même le début de l’audience, elle ne pouvait accueillir qu’une cinquantaine de personnes (hors juges et avocats), quand au moins le double espérait assister au procès dit des « inculpés d’Arago ». Des policiers ont même dû se poster dans le couloir pour les empêcher de passer. Restait alors Twitter et les fils d’actualité mis à jour par ceux qui étaient à l’intérieur.
L’audience, qui faisait suite aux événements du 22 mai, a été divisée en deux parties. La première concernait les personnes interpellées à l’extérieur du lycée Arago ; une affaire rapidement renvoyée au 4 décembre, en raison de pièces manquantes. Venaient ensuite les comparutions de onze adultes arrêtés au sein de l’établissement. Deux motifs étaient retenus : l’intrusion dans le lycée et le groupement « en vue de la préparation de violences ou de destructions ou dégradations de biens ». S’ajoutait, pour certains, un refus de prélèvement ADN.
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Offensifs, les avocats n’ont cessé de se relayer activement à la barre. La défense souhaitait faire reconnaître le caractère « politique » du délit, ce qui aurait mis un terme à l’audience puisqu’une telle infraction ne peut être jugée en comparution immédiate. Après une longue heure de délibération, le tribunal a coupé la poire en deux : il a nié le « délit politique », mais l’appel des avocats a renvoyé le procès. En clair, les arguments de la défense sont rejetés mais ce sera à la cour d’appel de se prononcer sur eux. Pourtant, « si ce tribunal considère qu’il est compétent alors il n’a pas besoin de renvoyer le dossier à décembre, et peut d’ores et déjà se prononcer dessus, note Raphaël Kempf, avocat au Barreau de Paris. On a le sentiment qu’il n’a pas voulu prendre la responsabilité de juger ces personnes par rapport au dossier Arago ».
Une certaine confusion a effectivement pu être constatée pendant le procès. À la présentation des prévenus, jugés en groupe, l’un d’eux se trouvait accusé d’un fait – refus de donner ses empreintes génétiques – qui n’avait pas été commis ; les juges étaient en train de mélanger leurs feuilles. Un second a même failli ne pas comparaître car le président du jury ne trouvait pas son dossier dans la pile. Un troisième, enfin, a été oublié à l’appel, ce qui a obligé son avocate à signaler sa présence.
Ce soir, maître Kempf salue un premier procès « positif, parce que tous nos clients sont totalement libres. Mais il ne faut pas crier victoire trop vite, relativise-t-il. Ils seront jugés en décembre donc ça va dégonfler le ballon. Je vois mal le parquet demander de clouer au pilori ces jeunes gens qui se battaient contre Parcoursup ». D’ici là, les avocats espèrent que la cour d’appel ou de cassation reconnaîtra un « délit politique ». Quoi qu’il advienne, ils comptent demander la relaxe pour l’ensemble des dossiers.
La LDH demande une enquête
À l’extérieur, les soutiens aux inculpés ont accueilli la nouvelle avec soulagement. Dès midi, bannières politiques et syndicales avaient investi l’entrée du tribunal, au milieu d’étudiants venus témoigner de leur soutien envers leurs amis et connaissances. « Face à la répression, le rassemblement est notre seule arme », plaide un membre de SUD Éducation Paris, dans un micro que lui tendait un représentant de la CGT. Sur le pied de guerre, la Ligue des droits de l’homme a décidé d’enquêter sur ce qu’il s’est passé au lycée Arago le 22 mai dernier. L’association pointe « des conditions d’interpellation indignes, pas à la hauteur de la France », et l’étrange signal envoyé à la jeunesse. « C’est une menace pour le droit à manifester, prévient-t-elle. Si on ne se mobilise pas, ce droit va être rongé. »
Sur la même ligne, Juliette Urbain, responsable de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) de Paris, alerte : « De toute la France nous remontent des informations sur les difficultés à manifester, à organiser des assemblées générales. Nous sommes inquiets de cette criminalisation. Nous, parents, refusons que nos enfants servent d’exemples pour décourager les autres manifestants », s’indigne-t-elle. Jean-Noël Aqua, conseiller du XIIIe arrondissement de la capitale, n’hésite pas à employer le terme d’« affaire d’État, où l’état de droit a été écrasé ». Le communiste y voit la main d’un pouvoir « à la peine pour faire accepter son agenda ultralibéral ».
« À trois jours du bac, presque 200 000 jeunes n’ont toujours aucune affectation », enchaîne Danielle Simonnet, élue de la France insoumise, qui ne veut pas perdre de vue les sources de l’affaire : « Qui doit-on juger : des lycéens qui se battent pour avoir le droit d’aller à la fac, ou les responsables de cette immense casse sociale ? » Ce vendredi, sur les 812 053 étudiants qui avaient confirmé au moins un vœu sur Parcoursup, seuls 337 659 ont pour l’instant définitivement accepté une proposition. De quoi laisser augurer de nouveaux mouvements de contestation. À leur agenda, les étudiants présents au tribunal ont déjà coché une nouvelle date : le vendredi 20 juin, où seront jugés les « inculpés du 9 avril » après l’évacuation de l’université de Nanterre.
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