Arié Alimi : « La politisation de la jeunesse est perçue comme un danger pour le pouvoir »
Selon Me Arié Alimi, l’interpellation de 102 lycéens et étudiants au lycée Arago, à Paris, le 22 mai, est un événement inédit. Il revient sur le sens de cette violente répression.
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Membre de la Ligue des droits de l’homme, Me Arié Alimi défend une partie des jeunes interpellés au lycée Arago. Selon ce spécialiste du droit pénal, cette répression policière et judiciaire s’inscrit dans un processus d’abus du système judiciaire. Nous assistons à son instrumentalisation pour réprimer des actions politiques et citoyennes.
Pourquoi la répression à l’encontre des lycéens d’Arago est-elle un événement inédit ?
Arié Alimi : Cent deux personnes, mineurs ou jeunes majeurs, ont été interpellées alors qu’ils voulaient organiser une assemblée générale dans leur lycée. C’est la première fois qu’en France on utilise, avec une telle ampleur, des poursuites judiciaires envers des lycéens qui expriment la volonté de tenir une assemblée générale sur leur lieu d’enseignement. De plus, sociologiquement, ces populations, lycéens et étudiants qui vivent dans la capitale, ne sont pas forcément familières des violences judiciaires. Ces jeunes ont été mis en garde à vue dans des conditions douteuses, laissés sans eau dans un fourgon durant quatre heures, sans que les parents soit informés immédiatement, ont subi des fouilles à nu, parqués à plusieurs dans des cellules insalubres… Ces méthodes violentes, qui étaient surtout utilisées dans les banlieues contre les populations issues de l’immigration, se trouvent généralisées, étendues à l’ensemble de la population.
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L’objectif, assumé, de cette répression est-il de dissuader ces jeunes ?
Le but est clair : réduire au silence cette population. Aussi bien en dissuadant les jeunes de participer de nouveau à une action citoyenne qu’en intimidant leurs parents. De nombreux lycéens et étudiants ont été déférés devant la justice, ce qui est inhabituel. Beaucoup ont écopé de rappels à la loi, une forme de sanction qui pourra être utilisée contre eux dans le futur. S’ils ne sont pas inscrits dans le casier judiciaire, ces rappels peuvent être présentés comme des « antécédents défavorables » contre ces jeunes dans le cadre d’éventuelles autres poursuites.
En quoi les qualifications retenues contre ces lycéens sont-elles particulières ?
Ces jeunes sont poursuivis pour « participation à un groupement en vue de troubler la tranquillité ou l’ordre public » et « d’intrusion dans un établissement scolaire ». Dans ces qualifications, c’est un comportement collectif et potentiel qui est sanctionné. Or, dans le droit pénal, c’est un acte précis imputé à une personne qui est sanctionné. De plus, cette stratégie du gouvernement a tendance à se généraliser : vendredi 1er juin, quatre lycéens ont été interpellés au lycée Bergson, à Paris, alors qu’ils prévoyaient de bloquer l’établissement. L’usage de ces infractions, générales et peu précises, est de plus en plus courant pour sanctionner des comportements qui relèvent pourtant d’une expression de la citoyenneté. Cette systématisation laisse entrevoir un glissement vers quelque chose qui ne relève plus vraiment de la démocratie.
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Qu’est-ce que cela dit de l’évolution du système juridique et judiciaire ?
Nous sommes dans la continuité d’un processus d’abus du système judicaire à des fins de répression politique. Ce basculement a commencé il y a environ une trentaine d’années sur la question du terrorisme. Des infractions générales et larges ont été créées, notamment la participation à une association de malfaiteurs en vue d’acte terroriste. Là encore, c’est un comportement dangereux potentiel qui est sanctionné, et non un acte précis. Ce processus a continué avec la création de délit pour la consultation de certains sites jihadistes, pour trouver son aboutissement dans le cadre de l’état d’urgence et sa pérennisation dans le droit commun.
Dorénavant, ces infractions larges et générales sont utilisées contre les lycéens et les étudiants. Qu’est-ce que cela dit de l’image qu’a le gouvernement de la jeunesse ?
Chaque gouvernement a la volonté de contrôler sa population. Se posent donc des questions quant au degré ou au niveau de contrôle, mais aussi en termes de population ciblée. Là, il y a une crainte : celle qu’une très large partie de la jeunesse acquière une conscience politique. Or, cette politisation est perçue comme un danger pour le pouvoir ; elle présage de contestations populaires à venir. Intervenir dans les lycées, c’est couper la racine de cette contestation et cela montre la volonté du gouvernement de contrôler ses populations futures.
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Où commence cette volonté de contrôle des jeunes ?
Elle commence hors de la sphère juridique. Par exemple, des syndicats d’enseignants et des parents d’élèves constatent que de plus en plus de proviseurs menacent d’exclusion des élèves qui souhaitent se rendre en manifestation. Dans ces cas-là, la réglementation interne d’un établissement scolaire est utilisée pour sanctionner un comportement démocratique pourtant externe au lycée. Et l’on voit aussi cela dans l’usage des réseaux sociaux : un lycéen de Colmar a été sanctionné d’une exclusion définitive avec sursis. Sa faute ? Des tweets qui critiquaient l’Éducation nationale et l’enseignement d’un professeur.
Les interpellations au lycée Arago sont entachées par un certain nombre d’irrégularités dans la procédure. Qu’est-ce que cela vous évoque ?
Le gouvernement, en connaissance de cause, ne respecte plus ses propres lois. Cela se voit dans la répression des mouvements de la jeunesse – le fait que les forces de l’ordre n’aient pas prévenu les parents des mineurs –, mais aussi dans l’accueil des migrants. Les gendarmes qui ramènent les mineurs isolés à la frontière franco-italienne, alors que c’est contraire à la loi… Autant dans les discours que dans les actes, il y a un mépris de ce gouvernement pour les lois de la République.
Arié Alimi Avocat au barreau de Paris