Big data : 7 façons de scruter votre quotidien
Qu’il s’agisse de nous pousser à consommer, de prévenir des maladies ou de nous surveiller, le big data offre des développements vertigineux.
dans l’hebdo N° 1507 Acheter ce numéro
Publicités ultra-ciblées
Ce sont désormais des algorithmes qui analysent en temps réel la masse incalculable de nos informations personnelles et achètent les espaces publicitaires, en choisissant « le bon message, au bon moment, au bon endroit, à la bonne personne », selon une formule répandue dans le milieu du marketing. Ils décident du format le plus adapté (texte, vidéo, photo, etc.) et du canal le plus pertinent pour faire mouche (e-mail, réseaux sociaux, alerte push, texto ou courrier papier).
La marque de vêtements Cyrillus s’est ainsi associée à une entreprise de marketing prédictif, Nuukik, pour éditer un catalogue ultra-personnalisé. 80 000 catalogues différents ont été envoyés à 100 000 clientes parmi les moins régulières (1). Autre exemple aux États-Unis, où Toyota a décliné quatre versions d’un même clip publicitaire, avec des scénarios différents et des acteurs blancs, noirs, latinos ou « transculturels mainstream » pour s’adapter au mieux à la cible.
Ces prouesses sont possibles grâce à ce que les professionnels du marketing appellent la « connaissance client à 360° » : un historique individuel de nos achats, de nos navigations en ligne et de nos déplacements. Nos localisations enregistrées par nos smartphones sont en effet recoupées avec nos historiques d’achats, enregistrés par nos cartes de fidélité et toutes les traces que nous laissons en ligne. Nos appels aux services clients ou commerciaux d’une marque sont également analysés avec des « cookies vocaux ».
Dans cette économie en pleine croissance, l’enjeu pour les marques est toutefois de rester le plus discret possible. Car 72 % des Français interrogés par un sondage Odoxa pour Emakina et BFM Business déclarent ne pas apprécier les publicités avec des promotions individualisées.
Tarifs personnalisés
Nous sommes habitués aux prix variables pour les billets d’avion ou sur l’application de transport Uber, où le prix de la course peut varier de plus de 200 % selon la demande. Les voilà qui arrivent dans le commerce de détail. Exemple dans l’agence Rent a car de Douai, où l’entreprise Pricemoov prévoit au jour le jour la demande et la propension à payer des clients en boutique. Pour y parvenir, la start-up compile une masse d’informations publiques (météo, agenda culturel, conjoncture économique locale, etc.) avec les données personnelles des clients du réseau Rent a car. Un logiciel modélise cinq types de comportements et prévoit le nombre et le type de clients que l’agence de Douai doit s’attendre à voir franchir le pas de sa porte chaque jour. Charge ensuite à l’agence de gérer son stock au mieux, en choisissant les clients à qui elle préfère louer. Ceux qui sont disposés à payer le prix le plus élevé, au regard de leur historique d’achats enregistré sur leur programme de fidélité. « Nous arrivons à faire une prédiction fine en prenant l’ensemble du passé d’un client, toutes ses relations transactionnelles, et en “taguant” son passé avec des points importants expliquant un comportement : s’il a loué pendant le week-end, un jour de festival ou de grève, etc. », se réjouit Pierre Hébrard, cofondateur de Pricemoov (2), qui dit avoir déployé sa technologie dans la location de matériel ou d’équipement sportif.
La grande distribution prépare aussi le terrain à ces prix variables grâce à des étiquettes électroniques permettant de moduler les prix instantanément, en fonction de l’heure, du niveau des stocks ou de la météo. Amazon teste également des magasins sans caisse où le paiement est automatique, via la carte de fidélité installée. Les variations de prix à la tête du client seront alors plus faciles, par le jeu de bons d’achat et de réductions.
Clients suivis à la trace
Grâce à notre smartphone, les marques et les grands magasins connaissent précisément nos déplacements et donc nos séances de lèche-vitrines infructueuses. Carrefour et la start-up Occi travaillent même sur une technologie permettant de détecter ce que vous avez mis dans votre panier avant de renoncer, pour vous « recibler », en ligne avec des promotions alléchantes (3). Auchan et Casino travaillent aussi à ce « retargetting » avec les entreprises Temelio et RelevanC. Autre nouveauté, les sites de e-commerce utilisent des modèles prédictifs pour anticiper la vitesse de consommation d’un produit et suggérer à leur client de recommander le produit, au bon moment, par une publicité ciblée.
Émotions détectées
Nos émotions sont déterminantes dans la prise de décision, notamment au moment d’ouvrir notre porte-monnaie. Les professionnels du marketing déploient donc des stratégies nouvelles. Dans certains grands magasins (Carrefour contact et France loisirs, notamment), des caméras sont capables d’identifier le profil des visiteurs (âge, genre) et de distinguer les clients en « phase d’achat » (4).
D’autres outils, utilisés uniquement sur des panels de testeurs, offrent une perception encore plus précise de nos émotions. Le groupe BVA a mis au point un bracelet, l’Emomove, qui enregistre les données physiologiques d’un consommateur lorsqu’il flâne en boutique. Combiné avec les données enregistrées par un « eye tracking », une caméra détectant les mouvements des yeux, il permet de connaître précisément « l’activation émotionnelle et l’engagement cognitif » provoqués par un produit. La régie publicitaire de TF1 et l’entreprise Datakalab mesurent, elles, l’impact d’un spot de publicité avec des caméras équipées d’algorithmes de « facial coding », qui détectent les émotions sur un visage et établissent le « score » émotionnel d’un programme. « Nous avons 30 % de mémorisation en plus [pour une publicité] si le contenu [du programme] est “engageant” », constate Laurent Bliaut, directeur général adjoint de la régie TF1 publicité.
Santé scrutée
Le big data doit permettre l’avènement d’une médecine « prédictive, préventive, personnalisée et participative ». Les promesses sont nombreuses : identifier les facteurs de risque de maladie comme le cancer ou l’asthme pour affiner la prévention ; optimiser les essais cliniques grâce à l’automatisation de la collecte et de l’analyse des données ; aider les médecins dans leur diagnostic avec le traitement automatique des données personnelles de leurs patients ; favoriser la « télémédecine ».
Un marché en pleine explosion, où apparaissent des entreprises privées plus ou moins familiarisées avec le terrain médical. IBM s’est ainsi rapproché d’Apple pour développer des outils d’analyse à destination des professionnels. Le cadre juridique en construction protège les données non anonymisées. L’Institut national des données de santé veille au respect de principes éthiques. Mais le risque pour le respect de la vie privée reste néanmoins important. Notamment parce que les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) collectent et stockent de plus en plus de données de santé, issues des capteurs du quotidien comme les montres connectées. Google investit notamment dans un projet de lentilles de contact connectées mesurant le taux de glucose, pour les diabétiques.
Délits prédits
Plus besoin d’aller chercher dans la fiction les pires scénarios en matière de surveillance. La Chine déploie déjà des caméras « intelligentes » (que la France entend expérimenter), capables d’identifier n’importe quel citoyen dans une foule. Un système de « crédit social » attribue également une note à tous les Chinois en enregistrant les petites incivilités et en bonifiant les comportements vertueux. Les personnes ayant par exemple fumé dans un train ou omis de payer leur assurance sociale peuvent être interdites à bord des avions ou des trains (5), et des arrestations « préventives » ont été déplorées par Human Rights Watch.
Mais cette police prédictive arrive également chez nous. Marseille a chargé Engie Inéo, le leader du marché de la vidéosurveillance, de compiler les données de police, justice, marins-pompiers, transport, circulation routière et météo avec l’analyse automatique des images de 2 000 caméras et les données récoltées sur les réseaux sociaux, dans le but de « détecter des comportements anormaux » et de « géolocaliser des points chauds de la ville ». Au risque d’alimenter des prophéties autoréalisatrices et d’accentuer, avec une pression policière accrue, des discriminations territoriales, relève la Quadrature du Net, qui publie des extraits de l’appel d’offres. La mise sur orbite est prévue en 2020.
Infos bancaires vendues
Les banques disposent d’une masse inégalable d’informations sur nos activités les plus intimes. Elles détectent une naissance ou un changement d’habitude alimentaire et connaissent nos commerces favoris. Une arme dans leur campagne de marketing prédictif pour nous proposer des produits sur mesure. Mais aussi pour détecter une fraude ou mesurer la solvabilité d’un client qui demande un crédit. Les algorithmes se substituent donc à l’homme dans l’analyse d’une demande de prêt, à l’instar de la start-up allemande Kreditech, qui recoupe les données bancaires du client avec des données extérieures glanées sur nos réseaux sociaux, nos téléphones mobiles et les sites de e-commerce.
Doucement, les banques commencent également à faire le commerce de ces informations. Elles vendent des données anonymisées, en fournissant par exemple à des commerçants des tuyaux sur le comportement des consommateurs de leur zone de chalandise. La loi n’interdit pas non plus la vente des données personnelles par les banques, du moment que le client est informé et donne son accord. Si les banques avancent encore avec précaution sur ce terrain, c’est surtout par crainte du scandale. En attendant que les mœurs changent.
(1) Emarketing magazine, février 2018.
(2) Salon Big Data Paris, 13 mars 2018.
(3) Emarketing magazine, février 2018.
(4) Technologie vendue par l’entreprise Angus.ai, Les Échos, 26 février 2018.
(5) Les Échos, 9 juin 2018.