Dissonances autour du Centre de la musique
Le projet de créer une structure nationale dédiée refait surface et pose les questions de sa gouvernance et de son financement au regard des besoins.
dans l’hebdo N° 1508 Acheter ce numéro
Un serpent de mer au ministère. Le projet de Centre national de la musique (CNM), abandonné en 2012, a ressorti la tête en 2017 quand la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, a chargé Roch-Olivier Maistre, conseiller à la Cour des comptes, d’une mission de réflexion sur un projet de « maison commune de la musique ». Rendu public en novembre, le rapport Maistre a conclu à l’opportunité de relancer le CNM, comme gage « d’une nouvelle ambition pour la politique musicale ».
Ce centre, qui doit naître début 2019, connaît une gestation difficile. « Un Centre national de la musique, pour quoi faire ? » réagissaient les Allumés du jazz dans _Politis, le 12 février dernier. Cette fédération d’une soixantaine de labels indépendants s’inquiète d’une structuration faisant fi de la grande diversité d’un secteur non constitué en « filières ». « La bombe CNM ! » alertait-elle en 2012. À cette date, circulait une pétition « Non au Centre national de la musique », largement signée par des musiciens. Sous couvert de soutenir les artistes, le projet leur semblait célébrer les noces de l’institution avec les majors et les entrepreneurs du spectacle. Cinq ans plus tard, qu’en est-il ?
« Le projet de Centre national de la musique n’a pas grand-chose à voir avec le modèle “Centre national du cinéma”, explique Philippe Gautier, secrétaire général du Syndicat national des artistes musiciens (Snam-CGT). Il n’y a pas de bureau cinéma au ministère de la Culture : le CNC se substitue aux politiques publiques. » Le CNM serait au contraire un « nouvel opérateur », « comme il n’en existe pas réellement à l’étranger », glisse Philippe Gautier. Ses missions « d’intérêt général » seraient, d’après les préconisations de Roch-Olivier Maistre : l’observation, l’information, la formation, le développement international et le soutien à la musique. D’où les enjeux autour de sa gouvernance et de son financement. Tant que l’un et l’autre sont flous, les concernés hésitent à se prononcer.
« Pas question que le CNM soit assis sur un budget soumis aux lois de finances ou fonctionne par subventions, insiste Philippe Gautier. L’ambition était d’aller chercher de nouvelles ressources en créant notamment une taxe sur la diffusion dite “taxe YouTube” : Canal+ vit du cinéma, donc participe au financement de cette industrie. Les contenus musicaux génèrent d’énormes revenus, il semble normal que ceux qui en profitent participent à la production. »
Concentration terrifiante au profit des stars
Encore faudrait-il distinguer les diffuseurs gratuits de ceux sur abonnement, comme Spotify, Deezer, Amazon… Et mieux cerner les géants du secteur, qui se partagent 30 à 50 % du marché. Soit des multinationales comme Live Nation, AEG, Lagardère ou SFR, qui pilotent la chaîne : diffusion, salles de spectacle, festivals, billetteries, sites Internet… Live Nation, « leader mondial du spectacle », est entré au conseil d’administration du Prodiss, syndicat national des producteurs, diffuseurs, festivals et salles de spectacle musical et de variété. Lequel a fait partie des personnalités auditionnées par la mission Maistre, qui a entendu peu de musiciens ou de disquaires.
Autre inquiétude : comment le CNM va-t-il se combiner avec les dispositifs existants ? Va-t-il notamment « avaler » le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz, qui « perçoit la taxe fiscale sur les spectacles et la reverse via ses programmes de soutien » ?
Pour Roch-Olivier Maistre, 2019 pourrait marquer une nouvelle étape dans la politique de la musique, après la création d’un réseau de lieux et de formations sous l’égide de Marcel Landowski dans les années 1960 et l’ouverture à de nouvelles esthétiques et à de nouveaux publics sous l’impulsion de Maurice Fleuret dans les années 1980. La musique serait le parent pauvre de la culture. Le spectacle vivant se porte bien, mais souffre d’une concentration terrifiante qui laisse hors scènes un nombre croissant de musiciens au profit de stars. Le téléchargement n’a pas tenu ses promesses, et le streaming explose tandis que les négociations autour d’une garantie de rémunération minimale (GRM) achoppent. « Le producteur ou l’éditeur indépendant, le musicien non starifié perçoivent 3 centimes à se partager pour 40 écoutes sur Spotify (relevé Sacem) », rappelle la tribune des Allumés du jazz.
Pour la fédération, le Centre national de la musique est aussi issu du protocole d’accord pour un développement équitable de la musique en ligne (2015), ou « rapport Schwartz », « qui a exclu notamment les artistes interprètes de toute rémunération de leurs œuvres diffusées sur Internet. On y devine aussi l’absorption de structures qui portent un pluralisme et accompagnent les projets de création artistique exigeants ». « Des attentes fortes s’expriment aujourd’hui à l’égard de l’État, dont la parole s’est faite trop rare », admet Roch-Olivier Maistre.
Le 4 juin, le Premier ministre a confié une mission de préfiguration du CNM aux députés (LREM) de l’Oise et de la Meuse Pascal Bois et Émilie Cariou. « Leur connaissance et leur expertise […] sont un sérieux atout pour éviter les fausses pistes », a reconnu la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), en rappelant que le financement devait s’inscrire dans une « triple démarche » : « définir un cadre clair et un niveau juste de financement ; dégager des ressources pérennes ; trouver des moyens de financements nouveaux et complémentaires, qui ne viendront ni fragiliser ni ponctionner des dispositifs existants ». Une concertation doit avoir lieu en juillet.