Éloge du vivant

Marx est le premier analyste de la destruction par le capitalisme des « deux sources de la richesse : le travail et la terre ».

Jean-Marie Harribey  • 13 juin 2018 abonné·es
Éloge du vivant
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L****e président Macron a réussi, en un an, à jeter « en même temps » au fond du trou les deux sources du vivant : le travail et la nature. D’un côté, il a remis en cause le code du travail, consacrant la priorité à l’individualisation de la relation employeur-salarié, au mépris des négociations collectives et des droits associés. Il marchandise le droit à la formation, et s’apprête à diminuer les aides sociales et à mettre un terme à toute solidarité dans le système de retraite en instaurant un système par points ou par comptes notionnels, strictement contributif. Parallèlement, le Président enterre toute velléité de transformation écologique en renvoyant aux calendes grecques la baisse de la part de l’énergie d’origine nucléaire et en enterrant les déchets de celle-ci à Bure. Il fait adopter une loi « agriculture et alimentation » qui renonce à interdire le glyphosate et la publicité pour une alimentation malsaine, pendant que la concentration des terres cultivables s’accélère et que la Commission européenne libéralise un peu plus la politique agricole commune.

Parmi tous les anniversaires marqués en ce printemps dans beaucoup de médias, il en est un qui a échappé à Politis : le bicentenaire de Marx. Pourtant, c’eût été facile de voir dans le fondateur de la critique de l’économie politique le premier analyste de la destruction par le capitalisme des « deux sources de la richesse : le travail et la terre ». En effet, le travail « vivant » est soumis au processus d’accumulation parce que lui seul ajoute de la valeur au capital, cette chose morte. Le travail est également vivant car c’est par lui que l’être humain se construit en tant qu’être socialisé. C’est la raison profonde de l’acharnement à le déposséder de son savoir, de son savoir-faire et de son savoir-être en le contraignant à adhérer aux objectifs de rentabilité et aux finalités de produire n’importe quelle marchandise, utile ou pas, pourvu qu’elle se vende.

C’est aussi à Marx que l’on doit d’avoir intégré dans sa critique de l’exploitation de la force de travail celle de la nature, source de richesse (et non pas de valeur monétaire). D’une part, le capitalisme épuise les sols, pollue les villes, rejette des déchets et, de l’autre, il procède à une inexorable appropriation de la terre et à une concentration des rentes qui en sont issues. Cette dynamique se poursuit depuis la fin du Moyen Âge et connaît un nouvel élan aujourd’hui, car, depuis la crise de 2007, les placements se sont rués sur la terre sur tous les continents, en Afrique et en Asie d’abord, et aussi en Amérique du Sud et dans l’Europe de l’Est. Entre 2000 et 2016, 42 millions d’hectares de terres cultivables ont été achetés par des capitaux libres de circuler (1). Et, en 2017, 381 000 hectares ont changé de mains en France.

Ainsi se reproduit et s’étend le mouvement de marchandisation des deux sources du vivant. « L’imposture Macron » réside là : tenter de parachever la mort du social, du collectif et du bien commun. C’est contre cette perspective qu’il faut penser la critique conjointe du capitalisme et de son productivisme, et la traduire politiquement pour faire l’éloge et la promotion du vivant.

(1) « International Land Deals for Agriculture », Land Matrix, 2016.

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