« Have a Nice Day » : Le pire du milieu
Avec Have a Nice Day, Liu Jian, dont c’est le deuxième film d’animation, signe un polar à l’humour critique envers son pays, la Chine.
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Le macronisme se loge là où on s’y attend le moins. Dans Have a Nice Day (« Bonne journée », en français), film d’animation et polar chinois, un personnage s’interroge : « Créer une start-up et faire de l’argent, c’est la même chose ? » Pas sûr que le président français ait été dans la mire du réalisateur, Liu Jian, à un moment ou à un autre de l’élaboration de son film. Mais, comme une marque mondialisée, on trouve désormais du Macron partout. Et le Macron chinois n’est pas en reste. C’est dire si la Chine ne se porte pas bien…
Liu Jian place l’action de Have a Nice Day dans une banlieue sans âme, dans un de ces endroits ignorés qui pourtant en disent davantage sur l’état d’un pays que les prestigieux centres-villes. Partout, des bâtiments en destruction-reconstruction et des no man’s land ; ici ou là, une gare déserte, un café Internet, un hôtel impersonnel… « Il y a cinq ans, tout était en friche ici », dit quelqu’un. La situation économique – investissements immobiliers et spéculation – est suggérée par les deux premiers plans, où figurent un chantier puis une banque. Liu Jian montre ces faubourgs dépeuplés, baignés d’une lumière peu avenante, dans une ambiance visuelle où domine le vert foncé.
Les personnages de Have a Nice Day, à l’affût d’argent facile, sont prêts à employer tous les moyens pour s’en procurer. Le premier d’entre eux, Xiao Zhang, dérobe un sac rempli de grosses coupures. Drôle de motivation : sa fiancée, victime de la chirurgie esthétique, envisage une opération de rattrapage en Corée, plus sûre mais chère. La nouvelle du vol remonte jusqu’au chef de la pègre locale, Oncle Liu, qui lance ses gros bras aux basques du jeune homme.
À première vue, Have a Nice Day est un vrai polar, avec bagarres, gangsters, sang versé et jeu de massacre. Mais les scènes d’action, parfois traitées audacieusement par une ellipse, ne semblent pas ce qui passionne le plus Liu Jian. Elles sont le passage obligé d’une histoire qui donne à voir des personnages déboussolés, frustrés, aspirant vainement à un autre destin. L’humour et la dérision y sont constants, subtils et féroces, comme si Echenoz et Tarantino s’y étaient donné rendez-vous.
Cet esprit confère tout son sel à ce deuxième long métrage du cinéaste, présenté à la Berlinale en 2017, mais dont la sélection au Festival d’Annecy a été interdite par les autorités chinoises. Peut-être parce que Liu Jian travaille de manière indépendante, dans son propre studio, pouvant faire de l’ombre aux grosses productions d’animation nationales. Sans doute parce que son film, aux résonances politiques évidentes, n’est pas à proprement parler un hymne à la dolce vita chinoise.
L’ironie de Liu Jian est aussi précise que son trait. La ligne claire est son credo. Avec une économie de moyens exemplaire – quelques gouttes de sueur, une mimique, un regard –, il insuffle des émotions à ses personnages.
Liu Jian s’en donne à cœur joie dans les détails… qui tuent. Ainsi, le café Internet où se rend Xiao Zhang a pour nom Intégrité et n’arbore sur ses murs que des publicités pour les armes à feu ou des posters de Bruce Lee… Oncle Liu, le chef mafieux, fréquente un moine, le vrai cerveau de la pègre, vivant dans un couvent où la statue de Bouddha est agrémentée d’une croix gammée.
Les personnages, marchands de soupe, bouchers ou petits employés avant de se transformer, à l’occasion, en hommes (ou femmes) de main, ont des rêves de bonheur, que Liu Jian met pour certains en images. Il ouvre une parenthèse dans son récit, alors qu’un couple s’apprête à faire un mauvais coup, pour montrer ce à quoi la jeune femme aspire. Représentation sirupeuse d’un paradis kitschissime : il s’agit de Shangri-La, nom tiré d’un roman américain des années 1930, repris par certains lieux touristiques dans l’Himalaya bouddhiste.
Existences et rêves frelatés dans un univers matérialiste sordide : telle est cette Chine-là. Pour leur épargner cela, certains envoient leurs enfants – il faut en avoir les moyens – dans une université à l’étranger. Mais ce n’est plus la panacée. « Pour faire de l’argent aujourd’hui, dit l’un des personnages, il faut abandonner ses études. Regarde Gates et Zuckerberg… » Ces deux-là font bien partie des idoles d’Emmanuel Macron, non ?
Have a Nice Day, Liu Jian, 1 h 27