Les opposants au nucléaire convergent à Bar-le-Duc
Trois mille personnes, selon les organisateurs, se sont retrouvées dans la Meuse, samedi, pour « dire non à la poubelle nucléaire » de Bure.
Réflexion, action. Tel était le programme du week-end à Bar-le-Duc, où se réunissaient les opposants au projet d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure. Venus de toute la France – et même de Belgique pour certains –, ils étaient plus de trois mille selon les organisateurs, un millier d’après la préfecture. Quatre mois après les expulsions brutales du bois Lejuc, et alors que les frondes de l’État (cheminots, étudiants, hôpital public, migrants) se multiplient, il s’agissait de montrer que leur détermination à « dire non à Cigéo » était intacte.
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L’opposition se durcit
Le premier rendez-vous est donné samedi, à 10 heures, dans le hall des brasseries, transformé pour l’occasion en un petit village autogéré. Dans la matinée, deux points sont à l’ordre des débats : retracer l’historique de la lutte ; penser les combats qui se profilent à l’horizon, les formes et les méthodes à leur donner. Cette deuxième question capte manifestement toute l’attention, signe que les opposants sont dans la projection. Et pour cause : entre les avancées du dossier de Bure, les inquiétudes autour de l’EPR de Flamanville et les centrales qui vieillissent, la question du nucléaire prend de l’ampleur. Un débat sur le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) doit bientôt être organisé. Georges Mercadal, ancien vice-président de la Commission nationale du débat public (CNDP), décrit une « possibilité de faire avancer les choses, [car] il paraît évident que Cigéo y a sa place ».
Mais dans le hall, peu voient la chose de la même façon. « Nous avons le choix entre Bure et Bure », rétorque Jean-Marc Fleury, qui réfléchit au boycott d’un débat national jugé verrouillé par l’entêtement du gouvernement. Pour l’illustrer, le président de l’Association des élus de France opposés à l’enfouissement des déchets (EODRA) raconte la dernière visite dans la Meuse de Sébastien Lecornu, secrétaire d’État auprès de Nicolas Hulot : « Une voiture blindée s’approche, la préfète sort et me dit que Lecornu est à l’intérieur, qu’il accepte de discuter avec moi dix minutes. » Une proposition déclinée. « Nous sommes dans l’impasse, poursuit-il, et en général ces situations se terminent mal. » Il observe et assume une contestation de plus en plus dure. « La faute à qui ? » L’expulsion, en février, de la dizaine de personnes qui occupaient pacifiquement le bois Lejuc, est dans toutes les têtes.
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« C’est impossible de discuter avec un État qui fait la loi avec la matraque », rajoute François, membre d’un comité de soutien à la lutte contre l’enfouissement des déchets. Cette discussion, trente-six organisations ont encore essayé de l’ouvrir vendredi dernier. Dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron, elles proposent d’ouvrir le débat _« pour une véritable étude des alternatives à Cigéo ». François lance l’idée d’une concertation populaire autogérée, avec des relais citoyens « sur internet, dans les mairies, les écoles, les entreprises… Il n’y a pas que ce qui se dit entre mâles blancs dans un couloir, ou dans les rapports d’experts, qui compte. Non, ce débat, tout le monde doit se l’approprier ».
« Hulot, rends la forêt »
Dans l’attente d’être entendues lors de cette consultation, les voix de cette opposition ont résonné tout l’après-midi dans les rues de Bar-le-Duc. Une vingtaine de bus avaient été affrétés pour l’occasion. À Paris, les deux cars n’étaient pas suffisants pour accueillir tous ceux qui souhaitaient avoir une place. « Nous, on est partis de Montpellier et on a récupéré des camarades à Nîmes et Valence », raconte Christophe. « C’est la convergence de toutes les luttes contre Cigéo !, sourit Gilles Bilot, secrétaire régional d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) en Lorraine. Partis, associations, groupuscules inorganisés ou non-officiels, tous ici pour dire non aux déchets nucléaires. »
Des cadres politiques ont aussi fait le déplacement. Yannick Jadot, leader d’EELV, tonne contre « l’État [qui] a redonné notre feuille de route énergétique au lobby du nucléaire ». La France insoumise est représentée dans la foule par Mathilde Panot, députée du Val-de-Marne, et Gabriel Amard. Ce dernier pointe les élections municipales de 2020 comme un rendez-vous important dans le combat à mener contre Cigéo. « Il faut que se construisent des listes en Haute-Marne et dans la Meuse pour entrer dans les conseils municipaux, tenir tête et refuser ce qui est trop souvent admis par les assemblées délibérantes », estime-t-il.
Inviter « la forêt en ville »
Festif, le cortège avait vocation à inviter « la forêt en ville ». Feuillages et masques de hiboux étaient de sortie, épaulés par deux grandes statues roulantes de l’animal-emblème de la résistance au projet d’enfouissement. Un important dispositif de CRS avait été déployé dans les rues de Bar-le-Duc – Politis a compté une trentaine de camionnettes. Lors de la marche, des black blocs ont tagué des murs – « Hulot, rends la forêt », « Collomb c’est toi le déchef radioactif » ou encore « Ni frontières ni nucléaire » – et ciblé des bâtiments appartenant à Eiffage, Mangin, des banques et une agence d’intérim. Une attitude qui a divisé les manifestants. « Ils sont en train de tout gâcher ! », s’agace une militante qui observe, impuissante. Une autre prend leur défense : « La vraie violence, elle est là ! », lance-t-elle en pointant du doigt les CRS. D’après la préfecture, les forces de l’ordre ont procédé à six interpellations et compteraient sept blessés dans leurs rangs.
Ces événements, insiste Jean-Marc Fleury, ne doivent pas faire oublier que l’objectif de la mobilisation a été en partie atteint : rappeler que le projet d’enfouissement de déchets nucléaires ne passera pas comme une lettre à la poste. « Heureusement qu’il y a des moments comme ceux d’aujourd’hui. Vingt-trois ans de lutte, c’est long… Il faut tenir », se remémore le président de l’EODRA. L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs pourrait déposer sa demande d’autorisation de construction de Cigéo en 2019. D’où les alarmes et appels – jusqu’à présent sans succès – réitérés ce week-end aux pouvoirs publics. « C’est David contre Goliath », soupire Guy Pezet, connu pour avoir lutté contre un projet d’enfouissement du même type à Sanvensa (Aveyron). Avec l’espoir qu’au bout du chemin, David finisse par l’emporter.
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