L’opinion publique et les démagogues
Voilà donc que se pose à nous cette question lancinante : que faire quand l’opinion publique « pense mal » ? L’histoire nous a déjà enseigné que cela pouvait arriver, et que les conséquences pouvaient en être tragiques.
dans l’hebdo N° 1509 Acheter ce numéro
L’opinion publique, version sondagière de la souveraineté populaire, redoute l’afflux de migrants dans nos pays. Elle se montre majoritairement hostile à l’accueil de ces étrangers en quête de solidarité. En Italie, elle soutient Matteo Salvini, fasciste mal repenti, qui repousse les naufragés vers le large. En Hongrie, elle applaudit le populiste Viktor Orban, qui, comme ses collègues de Pologne et de la République tchèque, a décidé de fermer définitivement ses frontières. En France, elle dicte sa politique au tandem Macron-Collomb. Le courage, il faut donc aller le chercher au cœur de nos sociétés, parmi les militants, de culture ou de circonstance, qui, eux, n’écoutent que leur conscience.
Voilà donc que se pose à nous cette question lancinante : que faire quand l’opinion publique « pense mal » ? L’histoire nous a déjà enseigné que cela pouvait arriver, et que les conséquences pouvaient en être tragiques. Bien sûr, on m’objectera que les sondages ne sont pas la démocratie. Mais ne nous berçons pas d’illusions. L’exemple italien est là pour nous le rappeler. Ce sont bien des élections qui ont validé ce que les sondages prévoyaient.
On pourrait aussi philosopher à l’infini sur nos questionnements de citoyens de gauche : qu’est-ce que « penser mal », et qui en décide ? La réponse que nous apportons à ces questions n’est en effet qu’un point de vue assumé, forgé par des convictions. Principalement deux convictions : ces étrangers, si différents de nous dans l’apparence, par la langue, et par les usages, sont pourtant fondamentalement nos semblables.
Et, surtout, ils n’ont pas choisi ni créé la situation qui les pousse à fuir leur pays. Autrement dit, ni eux ni nous ne sommes pour quelque chose dans cette répartition géographique qui fige les destins. Tout le monde peut comprendre ça. Mais on peut s’accommoder de cette injustice, comme on peut la juger inacceptable. Ce sont les variations de l’opinion publique. Et c’est ici qu’il nous faut nous interroger sur cet objet mal identifié : qu’est-ce donc que cette opinion qui fait les sondages et dicte les politiques des démagogues en tout genre ? Elle ne naît pas de rien. Il se pourrait même que les démagogues la précèdent plus qu’ils la suivent. Le mal, hélas, est profond.
Esquivons ici le débat rousseauiste sur la concurrence qui est, ou non, un penchant de la nature humaine. Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que le système économique dans lequel nous vivons exacerbe au plus haut point cette concurrence, et la justifie à force de discours autoritaire sur la dette, et de refus du partage des richesses.
Chez nous, quand le Président des riches abolit l’impôt sur la fortune, ou supprime l’exit tax, tout en accusant les pauvres de coûter « un pognon de dingue », il développe une culture du « chacun pour soi et que les autres crèvent » qui ne peut guère avoir d’effets bénéfiques sur « l’opinion publique ». N’accablons pas plus qu’il le mérite Emmanuel Macron. Il n’est que l’homme d’un système. Mais on est obligé de constater qu’en un an de mandat présidentiel, il est devenu la caricature de cet homme-là.
Quant à l’Europe, qu’on appelle par antiphrase Union européenne, elle aurait pu être une communauté de valeurs partagées ; elle n’est qu’une petite jungle à peine moins féroce que les États-Unis de Donald Trump. La voilà qui se refile le mistigri de l’immigration comme dans ce jeu de cartes où l’on se repasse sournoisement le valet de pique qu’on appelle d’ailleurs le « pouilleux ». Mais il ne faut pas croire que la crise migratoire est le seul sujet qui disloque l’Europe. Emmanuel Macron a eu beau nous expliquer qu’il a remporté à Meseberg une grande victoire en obtenant de la chancelière allemande un accord pour un budget européen, il n’en est rien. Car il y a tout lieu de penser que cet accord « de principe », sans aucun engagement financier, et auquel l’Allemagne est historiquement hostile, n’aura aucune portée réelle. Ce « principe » ne permettra évidemment pas d’apporter une aide solidaire à un pays européen en difficulté. Il y aura d’autres Grèce. À commencer par la Grèce elle-même, qui n’est sortie d’affaire qu’aux yeux des technocrates, comme Pierre Moscovici, et des financiers, mais pas pour le peuple.
De plus, cette histoire de budget européen, qui a toutes les apparences de la vertu, instille, l’air de rien, l’idée que la question budgétaire est notre nouvelle loi de nature. Enfin, il faut aussi parler de ces paradis fiscaux, l’Irlande ou le Luxembourg, qui trônent au milieu de notre belle Union. Comment voudrait-on avec un tel système que l’opinion publique n’ait pas peur de cet étranger qui va lui prendre ses aides sociales, et importer d’autres mœurs, quand ce n’est pas de la délinquance ou le terrorisme ? Bien entendu, l’accueil des immigrés, répartis équitablement au sein de l’Europe ne peut que supposer un autre partage des richesses. Sur le continent comme à l’échelle planétaire. On doit certes les accueillir sans attendre. Mais la vraie solution ne peut venir que d’une Europe sociale. Car tout se tient.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
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