Marcher contre les frontières
La Marche solidaire pour les migrants, partie de Vintimille le 30 avril et qui sillonne la France pour arriver à Londres le 8 juillet, se veut une bulle d’optimisme et de solidarité.
Et si les marcheurs n’étaient pas à l’Assemblée et à l’Élysée ? Ce 14 juin, les participants à la « Marche solidaire et citoyenne de soutien aux migrants » sont arrivés au camping du Rocheton, près de Melun. Assis dans l’herbe, un groupe profite des rayons matinaux et du premier café. « Plus un mélange d’eau chaude et de café soluble », plaisante Viviane. La jeune fille marche depuis le départ de Vintimille, en Italie, voilà quarante jours. Elle continuera jusqu’à Londres, le 8 juillet. La capitale anglaise est la dernière des 60 étapes qui composent la Marche solidaire, sur un trajet de plus de 1 400 kilomètres. D’une frontière fermée à une autre, en traversant le pays, les marcheurs solidaires suivent le trajet des migrants et réclament la liberté de circulation et la fin du délit de solidarité. « Et un accueil digne pour tous, permettant à chacun d’obtenir la protection et la possibilité de commencer une nouvelle vie », insiste François Guennoc, vice-président de l’Auberge des migrants, l’association calaisienne qui a lancé cette initiative. Aujourd’hui, le trajet sera d’une vingtaine de kilomètres pour arriver jusqu’à Évry, où ils dormiront.
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Rejoignant le noyau dur, les marcheurs de passage – pour la journée ou quelques étapes – arrivent vers 9 heures. Parmi eux, Leila, bibliothécaire, est venue pour vingt-quatre heures. Elle a profité de ses vacances chez sa famille dans la région. « Je vis au Canada et je trouve la politique migratoire française scandaleuse. » En se mettant en route, elle brandit le drapeau de l’Auberge des migrants : « Cette marche a une vertu thérapeutique face à la colère que l’on ressent lorsque l’on considère le nombre de morts en Méditerranée. On se demande souvent comment montrer notre indignation. C’est une manière de le faire », explique-t-elle, avant d’entonner le slogan à pleine voix avec le groupe : « So-so-so, solidarité, a-vec les ré-fu-giés ». Et justement les réfugiés font partie de la marche : « C’était important pour moi », raconte Zirak. En France depuis plus d’un an, cet Irakien attend la décision de la Cour nationale du droit d’asile. « Si je marche, c’est pour une France plus tolérante, explique-t-il. Je ressens beaucoup de méfiance envers les étrangers comme moi. »
Dans le centre-ville de Melun, les plus âgés s’arrêtent au kiosque. Sur toutes les unes apparaît l’Aquarius, le bateau de SOS Méditerranée rejeté par l’Italie et finalement accueilli en Espagne. « On est un peu coupés de l’actualité pendant la marche, on est dans notre bulle, s’excuse Claude. Ce scandale de l’Aquarius, on l’a appris par bribes. Mais on a tous été révoltés par les paroles de Macron. Il n’a pas honte ? La France et l’UE ont laissé l’Italie seule, et maintenant elles font la morale ! »
Vers 13 heures, le petit groupe s’arrête pour déjeuner sur une route qui rejoint la Seine. Le camion de ravitaillement, géré par l’équipe logistique du jour, vient à la rencontre des marcheurs sous leurs applaudissements. Les courses faites le matin sont déballées. La marche a pris du retard sur l’horaire, une traversée de ruisseau sur un sentier de grande randonnée dans la forêt à dos d’homme a ralenti le rythme. « Vous partez dans cinq minutes ! » prévient pour la troisième fois Anaïs, stagiaire à l’Auberge des migrants. Il faut être à Corbeil-Essonnes à 14 heures. Le comité d’accueil local attend.
Sur le chemin, on discute de tout et de rien. Yves, le doyen, tasse sa pipe, et Rudy, à côté, fume une cigarette roulée. Il a croisé la marche il y a quelques jours. Le jeune homme a posé son vélo pour faire la route avec les autres. Son chien, Youri, est devenu la mascotte de la troupe. En longeant la Seine, François et Maya, coorganisatrice de la marche, se tiennent par la main. Ces deux-là, la soixantaine, sont à la fois les parents de la marche et du groupe. « Ils sont tellement mignons », commente Nadège.
La jeune femme en short marche depuis le début de la semaine. Cette mobilisation lui rappelle la Marche des beurs de 1983. « En tant que deuxième génération d’immigrés, je me suis passionnée pour cet épisode historique. Lorsque j’ai entendu parler de cette initiative, j’ai tout de suite adhéré ! Je suis bénévole dans une association qui donne des cours de français. » Medhi aussi pense à la Marche de 1983. Il fait partie des marcheurs d’un jour. « Avec les galères de RER, j’ai mis trois heures pour arriver au point de rendez-vous, sourit l’étudiant en économie. Mais c’était important pour moi d’être là. Surtout dans le contexte du vote de la loi asile et immigration. »
Devant un collège, le groupe chante « nous sommes tous des enfants d’immigrés ! » à plein volume, ce qui fait rire les élèves. Un petit groupe de garçons prend la tête du cortège et crie de plus belle. Une automobiliste, bloquée quelques instants au passage piétons, s’énerve : « Pourquoi ils marchent pour les réfugiés, eux ? » D’autres klaxonnent à titre d’encouragement. « Bon résumé des différentes réactions que provoque la Marche solidaire, observe François Guennoc. On reçoit des sourires, mais aussi des regards fermés et quelques doigts d’honneur… C’est normal, se résigne-t-il. Le sujet clive. Et le discours du gouvernement n’aide pas. »
Rien ne vient entamer la bonne humeur des marcheurs. « À chaque ville où nous nous arrêtons, nous sommes accueillis par les associations locales, explique Malika, foulard noué sur la tête. Elles nous rejoignent pour faire un cortège dans la ville et, le soir, on a droit à une sacrée réception. Cette solidarité fait chaud au cœur. » Sur certaines étapes, les marcheurs sont hébergés par des citoyens. « Ça change du camping sous la pluie », s’exclame Gilles. Pour ce jeune infirmier, qui était bénévole à Calais, ces nuits-là seront ses meilleurs souvenirs de la marche. « On débarque chez des inconnus qui se mettent en quatre pour nous accueillir et nous mettre à l’aise. Ça m’a beaucoup ému. »
Ce soir, à Évry, une partie des marcheurs dort au prieuré. « Chez les moines, c’est bien mieux que sous la tente ! », rigole Perrine. Le lendemain matin, au réveil, la jeune fille se réjouit : « Il y a du vrai bon café ! » Jeanne s’est levée plus tôt pour assister à la prière : « J’ai été bénite ! », sourit-elle. De bon augure pour la marche du jour ? Voire : après s’être perdus dans les champs pendant plus d’une heure, les marcheurs finissent par prendre le RER pour rejoindre Villeneuve-Saint-Georges dans les temps. « Pour une station, c’est un peu de la triche, mais on se pardonne. On ne doit pas être en retard : on est accueillis par la mairie. Et ça, c’est assez rare », souligne Anaïs.
En effet, la troupe est attendue par la maire, Sylvie Altman, le président du conseil départemental du Val-de-Marne, Christian Favier, et des associations locales. « À travers la Marche solidaire, c’est tout un réseau de bénévoles engagés pour la cause des réfugiés qui se tisse, déclare Maya, mégaphone à la main. Les associations nous font part de leur découragement face à des autorités implacables. Cette marche, c’est comme un renouveau, une action positive et dynamique dont nous avions tous besoin ! »
Les marcheurs restent deux jours à cette étape pour préparer l’arrivée à Paris. « Un sacré challenge », commente Julia en faisant mine de froncer les sourcils derrière ses lunettes. Originaire de Barcelone, la jeune fille est en Erasmus dans la capitale. « C’est ici que je me suis intéressée à la question des réfugiés. Une amie m’a proposé de rejoindre la marche. Je les ai retrouvés à Aix, au départ pour quelques jours. Et je ne suis pas repartie ! »
Le lendemain, 17 juin, à Paris, la jeune fille se dit émue en traversant le pont d’Austerlitz. « On l’a fait ! s’exclame-t-elle. Regardez tout ce monde ! Nous n’avons pas marché pour rien ! » Anouchka, qui marche depuis Dijon, partage sa joie. « Même si, parfois, on retrouve un peu une ambiance de colonie de vacances, il y a des jours pas faciles. Lorsque tu te lèves courbaturée de la veille et que tu vois la pluie dehors, tu penses annuler ou reporter, ce qu’on aurait fait si on était seuls ou en vacances. Sauf que là, on ne peut pas. Il faut y aller. Mais ce sont des jours comme ça où j’ai le mieux saisi le sens de ce qu’on faisait. »
Difficile de dire si la marche va changer quelque chose, souligne Riaz, jeune réfugié pakistanais : « Je ne sais pas où on va, mais en tout cas on y va. » Pour Maya, le résultat n’est pas à démontrer : « Il y a déjà un impact sur les gens qui ont marché, ceux qui les ont accueillis et ceux qui se sont impliqués, ça fait quand même du monde ! ». « Cette marche est d’abord une aventure humaine impressionnante », se réjouit Clémence. Arborant le bronzage des marcheurs de la première heure, elle a le sourire aux lèvres, place de la République, à Paris. « Je viens de voir un exilé soudanais rencontré à Vintimille. Il m’a dit avoir pu déposer sa demande d’asile ! Il a fait le même chemin que nous, en fait, mais beaucoup plus vite ! »