Nouvelles pratiques de lutte sociale
Traducteur et auteur de polars ou d’essais, Serge Quadruppani analyse les mutations en cours des formes de mobilisation.
dans l’hebdo N° 1508 Acheter ce numéro
Les images d’Épinal des barricades de 1848 ou, il y a tout juste cinquante ans, de Mai 68, sans parler de la traditionnelle manifestation Bastille-Nation, entre banderoles et slogans lancés au mégaphone et repris en chœur, ont tendance à dater (1). Certes, elles demeurent d’actualité, comme on a encore pu le voir au cours des manifestations contre la scélérate « loi travail » ou contre les ordonnances Macron-Pénicaud. Mais les formes de luttes ont su – ou dû – s’adapter aux aspirations récentes des manifestants mais aussi aux nouvelles techniques répressives de la police.
Outre la mort de Rémi Fraisse durant la lutte contre le barrage de Sivens, déchiqueté en pleine nuit par une grenade « offensive », on ne compte plus les blessés au cours des défilés. Mains arrachés par des grenades, yeux crevés par des tirs de Flash-Ball, plaies ouvertes causées par des grenades « de désencerclement » (qui, réglementairement, ne devraient être utilisées par un fonctionnaire de police qu’en cas de danger ultime, car isolé et encerclé par un groupe hostile)… Toutes ces pratiques de violence policière ont un but premier : faire peur, et d’abord interdire la rue et les manifs à nos gamins (2), comme l’a récemment montré la répression au lycée Arago (Paris XIIe) à la fin de la manifestation des services publics du 22 mai (3).
Pourtant, comme le souligne Serge Quadruppani dans ce « voyage » au cœur des pratiques innovantes de luttes, force est de constater que « tant de gens de tous âges et genres, et de diverses catégories sociales » se sont mis à sortir des cortèges syndicaux pour « se joindre à ce qui s’est rapidement autobaptisé “cortège de tête” ». Et l’auteur d’ajouter : « C’était pourtant là qu’on était sûr de subir tout le répertoire des techniques répressives, à une échelle jamais atteinte jusque-là. » Or, aux côtés de ce fameux « cortège de tête », il n’est pas artificiel de vouloir « rassembler sous une même bannière la lutte contre un projet de loi consacrant vingt ans de détricotage d’un droit du travail acquis par des décennies de luttes ouvrières, et la résistance à des projets d’aménagement du territoire » : de Notre-Dame-des-Landes à la vallée de Suse, des rues de Paris à celles de Gênes et de Rome, « subjectivités et collectivités en mouvement ». Occupations, « zones à défendre », « Nuits debout », mais aussi « cette composante majoritaire du cortège de tête [qui] se distingue par son attitude sinon activement complice, du moins nullement hostile envers ceux que les médias dominants appellent les “casseurs” »… Ce sont là quelques-unes de ces « nouvelles pratiques révolutionnaires » que décrit Serge Quadruppani, à la fois conséquences de la répression, et de la volonté de révolte qui s’exprime de plus en plus.
(1) Sur l’histoire des manifestations, lire les travaux de l’historienne Danielle Tartakowsky. Et sur l’usage des banderoles, lire La Banderole. Histoire d’un objet politique, Philippe Artières (éd. Autrement, 2013).
(2) Cf. notre billet sur Politis.fr
(3) Cf. l’appel en soutien aux 102 jeunes interpellés et/ou inculpés : https://www.politis.fr/articles/2018/06/arago-comico-renzo-piano-retour-sur-la-repression-du-22-mai-38960/
Le monde des Grands Projets et ses ennemis. Voyage au cœur des nouvelles pratiques révolutionnaires Serge Quadruppani, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 160 p., 13 euros.