Que sont les colos devenues ?

Les colonies de vacances sont de plus en plus assimilées à des offres touristiques classiques. Mais une partie du secteur résiste et met en avant son offre alternative, tournée vers la mixité.

Malika Butzbach  • 25 juin 2018 abonné·es
Que sont les colos devenues ?
© photo : CHARLY TRIBALLEAU/AFP

L a directive Travel acte politiquement le fait que, pour un grand nombre de personnes, les colonies de vacances sont devenues du tourisme », analyse Jean-Michel Bocquet, chercheur en sciences de l’éducation au Centre interdisciplinaire de recherche normand en éducation et formation (Cirnef). Adoptée en 2015 par le Parlement européen, cette directive (n° 2015/2302) vise à assurer tout client d’une prestation touristique de son remboursement si l’activité en question n’a pas lieu. Problème : cette règle devait également s’appliquer, dès le 1er juillet 2018, aux colonies de vacances, soumises aux obligations du code du tourisme. Heureusement, après s’être mobilisés, les accueils collectifs qui hébergent enfants et adolescents se sont vu exclure du champ d’application du texte, à condition d’être détenteurs de l’agrément « jeunesse et éducation populaire ».

« L’évolution des colonies de vacances a brouillé leur frontière avec le tourisme, précise Jean-Michel Bocquet dans l’article qu’il a cosigné avec son collègue du Cirnef Cyril Dheilly (1). Les liens entre les deux ont toujours été ténus. […] Mais, ce qui les distingue, c’est la finalité et le public concerné. » Le tourisme pour les classes sociales les plus aisées, les colonies pour les plus modestes, avec une dimension relevant de la politique publique de par l’apprentissage du vivre-ensemble. Or, depuis les années 1990, les offres de colonies ciblent de plus en plus les familles favorisées. On a vu disparaître les séjours longs et généralistes au profit d’équipées de quelques jours sur une thématique ou une activité : « cinéma », « équitation » ou même « journalisme ».

« D’un objet éducatif, l’activité est devenue un objet de vente », explique Jean-Michel Bocquet. De la thématique du séjour, argument marketing, découle la segmentation des publics ciblés. Et, comme le souligne le géographe Yves Raibaud dans un article, « la colonie n’est plus un lieu de brassage social (2) ». C’est aussi un peu la fin de la mixité : aux filles l’option équitation, aux garçons les virées VTT. Même distinction entre les milieux socio-économiques. « On a peu de chances de voir des enfants d’ouvriers participer à des colonies thématiques sur la musique classique, relève Yves Raibaud. Tandis que, du côté des quartiers populaires, les pouvoirs locaux se concentrent sur des séjours courts avec des activités comme le foot ou le hip-hop, qui excluent les filles. »

En outre, les activités spécifiques ont un coût plus élevé, ce qui en barre l’accès à nombre d’enfants : les prix vont de 500 à 1 500 euros la semaine. Et ces différences économiques sont accentuées par les organismes, qui gèrent les séjours comme des produits touristiques. Par conséquent, « c’est auprès des familles aisées qu’ils font du bénéfice, observe Jean-Michel Bocquet. On a donc créé des colonies “luxueuses”, avec des prestations de plus en plus haut de gamme. » Fini les images de films comme Nos jours heureux (Éric Toledano et Olivier Nakache, 2006), place au business.

D’une même voix, les chercheurs pointent la cause de ces mutations : le désengagement des pouvoirs publics. « Les structures qui permettaient à quatre millions d’enfants de partir en vacances se sont effritées, s’emporte Yves Raibaud. L’État a diminué les subventions et les communes ont vendu leurs locaux. » Il suffit d’une brève recherche sur le Net pour être surpris du nombre d’offres immobilières. Les explications sont multiples et vont de la baisse de fréquentation des colos à la diminution des dotations allouées aux collectivités, en passant par le coût important de l’entretien et, surtout, de la rénovation des bâtiments pour respecter les normes.

L’évolution des colonies de vacances reflète celle de la société. Pour Yves Raibaud, « c’est un peu le symbole du passage d’une France sociale à une économie totalement libérale ». Pourtant, il y a là un enjeu politique : celui de la mixité sociale et du vivre-ensemble. Et les conséquences de cette évolution sont sans doute plus importantes qu’on ne le croit. Dans sa note « 1985-2017 : quand les classes favorisées ont fait sécession (3) », Jérôme Fourquet pointe, parmi les causes de cette fracture, le lent déclin des colonies de vacances. En 2016, 800 000 enfants y sont partis, contre un million en 2007 et deux millions au début des années 1980. « Avec l’absence de mixité dans les séjours, il y a deux mondes parallèles qui s’installent, ou plutôt qui se confortent, puisque ce phénomène n’est pas seulement le fait de l’évolution des colonies, explique Cyril Dheilly. La question est : est-ce qu’on accélère ce mouvement ou on choisit de favoriser la mixité et la rencontre ? »

C’est justement ce que font des colonies dites « alternatives », réunies dans le groupe Camp Colo. « À travers des partenariats avec des associations de quartier ou des foyers sociaux, nous voulons que les enfants qui viennent ici se rencontrent », explique Louis Letoré, directeur de la Maison de Courcelles (Haute-Marne). Mais il ne suffit pas de « juxtaposer » les classes sociales pour qu’il y ait échange, prévient Sylvain Stienon, de l’organisme EvaSoleil. Pour favoriser la mixité, chaque structure a développé sa pédagogie. À la Maison de Courcelles, les enfants sont libres d’organiser leur journée et, dans un espace ouvert, se rencontrent et jouent ensemble, que ce soit dans le parc ou dans la salle consacrée aux arts du cirque. Chez EvaSoleil, les assemblées de gamins leur permettent de constituer le planning de la semaine. « Nous réunissons des enfants très différents et les faisons discuter ensemble : c’est aussi ça leur apprendre à vivre en collectivité. »

Pourtant, ces modèles alternatifs se trouvent en difficulté. D’abord pour faire face à la concurrence des grosses organisations et à leurs offres alléchantes qui rassurent les parents. « Si le modèle des colonies thématiques séduit autant les parents, c’est parce que toute l’organisation du séjour est prévue : ils savent ce que font leurs enfants presque heure par heure. Si une activité saute, ils sont en droit de râler puisque ce sont eux les clients, explique Cyril Dheilly. C’est d’ailleurs le but de la directive Travel ! Or, l’organisation, c’est aussi construire le temps de séjour avec les enfants, en écoutant leurs envies et leurs besoins. »

C’est en tout cas ce que revendique EvaSoleil : les jeunes vacanciers décident de l’activité et l’organisent. « Les animateurs représentent un repère, mais n’imposent rien : ils accompagnent. Dans ce cas-là, la préparation compte bien plus que l’activité en elle-même. Nous mettons l’accent sur la responsabilisation des enfants. » C’est une tout autre vision des vacances que proposent ces structures : loin de la consommation d’une activité, il s’agit de retrouver le temps de vaquer à ses occupations.

Autre menace sur ces modèles de colonies : le poids des normes. « Les colonies ont suivi les évolutions sociétales et ont adopté une gestion de l’activité fondée sur l’absence de risques, analyse Jean-Michel Bocquet. Des accidents médiatisés ont suscité une méfiance de la part des parents. On a donc mis en place des dispositifs matériels permettant de limiter les risques. Sauf que, parfois, ces dispositifs s’opposent à leur sécurité affective. » Souvent pointée du doigt par les services de prévention, la Maison de Courcelles veut trouver un équilibre entre la sécurité et son projet de libre circulation. « On nous fait souvent des remarques sur la cuisine, témoigne Louis Letoré. C’est un lieu ouvert avec deux animateurs où les enfants peuvent se rendre s’ils en ont envie. La sécurité y est présente mais, par exemple, nous utilisons des torchons pour essuyer la vaisselle, ce qui est déconseillé par les autorités sanitaires, qui les considèrent comme des nids à bactéries. Nous leur avons expliqué que ces torchons étaient à usage unique et que la participation aux tâches ménagères fait partie de notre projet éducatif. Lorsqu’un enfant participe à la préparation du repas, cela le valorise. Et ça, c’est un bienfait indéniable pour lui. »

Face à ces difficultés, la solution serait de valoriser ces structures et de les rendre plus visibles. Par exemple, à travers des campagnes comme celle intitulée « À nous la colo ». « L’enjeu de la mixité auquel participent ces colonies est politique, la réponse doit donc être politique », assène Yves Raibaud. Le débat autour de la directive a permis de parler des colonies d’intérêt public et d’interroger leur devenir. Alors que trois millions d’enfants ne partent pas en vacances, cette réflexion, si elle s’accompagne de moyens, peut apporter des solutions à ce problème. De quoi retrouver « les jolies colonies de vacances » que chantait Pierre Perret.

(1) « Les colonies de vacances seraient-elles vraiment devenues du tourisme ? », The Conversation, 1er mai 2018.

(2) « Égalité et citoyenneté : que sont devenues les colonies de vacances ? », La Revue Foeven. Ressources éducatives, 2016.

(3) « 1985-2017 : quand les classes favorisées ont fait sécession », Fondation Jean-Jaurès, 21 février 2018.

Société
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