Romainville : Du trichlo dans le salon

Des habitants de Romainville se mobilisent pour la dépollution de leur quartier, gravement contaminé par l’usine Wipelec.

Vanina Delmas  • 27 juin 2018 abonné·es
Romainville : Du trichlo dans le salon
photo : Interpellation grinçante le 1er juin à Romainville.
© Ingrid Merckx

Sur la table de la cuisine, les classeurs s’accumulent. À l’intérieur, des plans du quartier découpés en parcelles, des arrêtés préfectoraux, des courriers envoyés jusqu’au ministère de la Transition écologique et solidaire pour alerter sur la pollution qui touche les sols et l’air du quartier des Ormes, à Romainville (Seine-Saint-Denis). Une forteresse de papiers que Sébastien Tirloir met à jour dès que possible. « Dès que les services de l’État veulent bien nous communiquer les informations ! », précise le vice-président de l’association Romainville Sud, créée justement en 2014 pour interpeller plus facilement les pouvoirs publics.

Dans ce quartier résidentiel du nord-est parisien trônait depuis 2003 l’usine Wipelec, sous-traitant de Safran pour la découpe chimique de métaux, succédant à une entreprise de traitement de surface. Deux activités utilisant beaucoup de substances toxiques. Géré par un patron aux pratiques douteuses, Wipelec est déclaré en cessation d’activité en 2006. Pourtant la dépollution du site n’est pas ordonnée, alors qu’il est avéré que le trichloréthylène (TCE) a envahi les gaz du sol, selon des études réalisées par l’entreprise elle-même.

Les riverains l’ignorent jusqu’en octobre 2014, lors d’une banale réunion publique sur l’urbanisation du quartier en présence d’élus municipaux et de potentiels racheteurs du site, dont le fonds d’investissement suisse Ginkgo. « Les représentants de Ginkgo nous annoncent qu’ils vont démolir dès la semaine suivante puis dépolluer aussitôt. Nous apprenons alors que l’état du terrain est catastrophique, raconte Sébastien. À la fin de la réunion, ils me disent en aparté : “Qu’est-ce que vous avez été pollués, vous !” Les prélèvements effectués au fil des années n’ont pas été faits pour protéger notre santé, mais pour libérer le foncier du site. »

D’autres analyses ont été réalisées en dehors du site, mais au compte-gouttes, et sans que les résultats alarmants n’engendrent de réaction radicale. L’air intérieur d’une maison a atteint 500 µg/m3 de TCE, 900 dans une autre, quand le seuil à ne pas dépasser est de 2 ! Plus récemment, alors que la dépollution du site est commencée depuis plusieurs mois, le taux de TCE d’une habitation est passé de 6 à 200 µg/m3. Malgré les grandes tentes blanches installées par Ginkgo pour délimiter la zone de confinement, malgré l’installation de VMC dans cinq pavillons par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), malgré les conseils avisés d’aérer son intérieur…

Pour Isabelle Griffe, cheffe de l’unité territoriale du 93 à la Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (Driee), « les travaux sur le site étaient une étape absolument nécessaire pour enfin traiter la principale source de pollution ». Maintenant que les opérations de dépollution sont terminées, « l’État et l’Ademe vont refaire un point de situation, notamment des investigations complémentaires, précise-t-elle. Des interventions seront proposées aux riverains tant qu’il y aura des concentrations élevées dans leurs habitations ». Par exemple, des études de gaz dans les sols autour du site, dans les terrains habités et sur la voie publique.

« Concernant la dépollution, nous n’avons aucun interlocuteur. Nous n’avons plus confiance en l’Ademe, nous n’avons aucune nouvelle de l’enquête épidémiologique menée par l’agence régionale de santé, énumère Vincent Pruvost, vice-président de l’association. Ils diluent les responsabilités, donc on ne sait plus à qui s’adresser. Le principe du pollueur-payeur est une fumisterie ! »

En 2015, Sébastien accepte que son jardin soit analysé. Conclusion : des taux d’arsenic « 172 fois au-dessus de la norme » dans ses fruits et légumes. La préfecture rétorque que ça ne vient pas de Wipelec, qui n’a jamais déclaré utiliser d’arsenic. « Les comptes rendus du préfet donnent toujours l’impression que tout se passe bien. Mais, quand on passe de l’autre côté de la barrière, ce n’est plus du tout le cas, glisse Francis Redon, de l’association Environnement 93. La question du principe de précaution ne se pose même plus puisque la pollution au TCE est avérée. »

Près de 200 maisons seraient touchées.Après une première procédure d’une trentaine de riverains en 2016, sept habitants et une association de Romainville ont déposé plainte en février pour mise en danger de la vie d’autrui. Représentés par Me Bertella–Geffroy, avocate et ancienne juge d’instruction auprès du pôle de santé publique de Paris, ils veulent se porter partie civile pour accéder à toutes les pièces du dossier et pouvoir faire la lumière sur les responsabilités de chacun, puisque tout le monde se renvoie cette patate chaude toxique.

Écologie
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