Assa Traoré fédère les quartiers
La sœur d’Adama, mort lors d’un contrôle en 2016, mobilise pour la marche prévue le 21 juillet à Beaumont-sur-Oise.
dans l’hebdo N° 1512 Acheter ce numéro
Il est midi, un petit groupe se forme au rond de l’Ellipse, dans le quartier de la Grande Borne à Grigny (Essonne).
Une marche en mémoire d’Adama
Le comité La Vérité pour Adama, fondé par Assa Traoré, appelle à une marche le samedi 21 juillet à Beaumont-sur-Oise, deux ans après la mort du jeune homme. Les familles d’autres victimes de violences policières seront présentes. Un documentaire sur la première marche sera diffusé et un concert de soutien clôturera la journée. Le comité a publié de nombreuses vidéos de soutien de personnalités telles que Mamoudou Gassama, le sans-papiers qui avait sauvé un enfant suspendu à un balcon le 26 mai dernier ; Lassana Bathily, rescapé de la prise d’otages de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes le 9 janvier 2015 ; l’ancien joueur du PSG Sammy Traoré ou encore le rappeur Fianso. Côté politique, le PCF, la France insoumise, Génération·s et le Parti de gauche ont appelé à la marche.
C’est Aboubakar Sakanoko, dit Bouba, habitant du quartier pendant trente-trois ans et figure associative de la ville, qui est aux commandes du rassemblement. Très engagé sur le terrain et soutien de la première heure de la famille Traoré, il est à la tête de Zonzon 91, association de prévention de la délinquance chez les jeunes du quartier, et du média associatif Block-out Radio. À ses côtés, Pascal Troadec, lui aussi ancien habitant du quartier et élu chargé de la culture à la mairie de Grigny, accueille les habitants. En musique, dans une ambiance amicale et solidaire, la quarantaine de personnes mobilisées attendent patiemment tandis que des enfants jouent sur la place.
Depuis deux ans, Assa Traoré joue un rôle clé dans la médiatisation du combat. « La démarche d’Assa n’est pas limitée à sa famille : elle incarne la lutte contre les violences policières et leur impunité », résume Pascal Troadec. Depuis quelques mois, cette mère de trois enfants a cessé de travailler pour se consacrer à la cause et au soutien de ses autres jeunes frères, puisque quatre ont été emprisonnés depuis la mort d’Adama. Aînée au service d’une famille comptant 17 enfants, elle témoigne de la solidarité sans faille qui unit la fratrie Traoré. Et elle fédère. Sur le terrain, l’ancienne éducatrice spécialisée sait exactement comment parler aux jeunes, qu’elle connaît. À chaque rassemblement, elle aborde une même technique de mobilisation issue du travail social, qui passe par l’échange en petits groupes, donnant la parole à chacun. Avec ses méthodes et sa personnalité, elle fait l’unanimité parmi les soutiens du comité.
« Assa est courageuse et patiente », commente Kong, membre actif de la radio Block-out. Un sentiment partagé par Maxime, 25 ans, membre du groupe Action antifasciste Paris banlieue, soutien de la famille, venu de Paris avec des amis. « Assa est une femme de caractère, au mental d’acier, qui s’est retrouvée du jour au lendemain sous le feu des projecteurs. Il faut encourager son combat », dit-il.
Cet après-midi à Grigny, Assa Traoré, charismatique et très à l’aise en public, reste une heure pour échanger avec la population, avant deux autres rencontres ailleurs – elle est sur tous les fronts. T-shirt « Justice pour Adama » et visage grave, elle raconte en détail cette journée tragique qui a conduit à la mort de son frère. « Adama Traoré fêtait ses 24 ans le 19 juillet 2016. Les gendarmes se sont donné le droit de mort sur lui », rappelle-t-elle. À peine a-t-elle pris la parole que des dizaines de curieux descendent des immeubles ou se penchent à leur fenêtre pour écouter. « Nous attendons la convocation des gendarmes depuis le début. Elle devrait avoir lieu puisque la juge a demandé la reconstitution de la scène. »
Le micro passe ensuite de main en main. « L’histoire d’Adama est celle de gens qui se croient au-dessus du droit. Il est de notre responsabilité politique de nous mobiliser et de nous indigner », s’exclame Charlotte Girard, coresponsable du programme de la France insoumise, qui fut candidate aux législatives dans la circonscription de Grigny.
« Ce combat, c’est une déclaration d’amour d’une grande sœur à son petit frère. Assa est exemplaire et m’inspire grandement, confie Djigui Diarra, acteur et réalisateur qui a grandi à la Grande Borne_. Dans tous les quartiers, elle a semé les graines du combat, comme d’autres femmes. »_
C’est au tour d’Aya, investie dans l’association Révèle-toi. Elle fustige le traitement médiatique des violences policières. « On se focalise sur le passé de ces jeunes, on entend : “Il vendait du shit”, “c’est un délinquant connu des services de police”… Mais même si c’est vrai, qu’est-ce qui pourrait justifier de tuer ? Rien ! C’est le combat de toute la France, pas seulement celui des quartiers ! » Dounia, de l’association Jeune Aumône le cœur sur la main, renchérit : « L’histoire d’Adama peut être celle de tout le monde ici ! »
Et quand l’animateur, Bouba, demande à l’assistance si certains ont déjà été victimes ou témoins de violences policières, les commentaires fusent. « Ce n’est pas normal, mais les jeunes ont grandi avec cette habitude de jouer à côté de CRS armés. Et ils sont souvent insultés. Cette violence raciste a été banalisée », estime Aya.
Une adolescente raconte : « Un jour, une amie de Lyon est venue chez moi quelques jours. Elle était étonnée que des hélicos passent à longueur de journée au-dessus du quartier. “Quelqu’un s’est évadé ?”_, a-t-elle demandé. Mais non, c’est qu’on est surveillés à longueur de temps. »_ À ses côtés, Ayoub, qui vient d’avoir 20 ans, s’indigne qu’on puisse ôter la vie « à des jeunes qui n’ont pas eu le temps de vivre : les gens pensent qu’on exagère, mais, quand ils viennent dans le quartier pour la première fois, ils comprennent car ils voient la police partout et assistent à cette violence du quotidien. » Comme pour faire écho à son propos, cinq minutes se sont à peine écoulées que cinq policiers de la BAC interviennent violemment à la porte d’un immeuble qui longe la place, sous le regard des enfants.
Assa Traoré déplore ensuite l’acharnement judiciaire qui s’exerce contre sa famille depuis deux ans. « Voilà comment on veut casser le combat. Le mouvement prend de l’ampleur, mais justice n’est toujours pas faite. Samedi prochain, aucun de mes petits frères ne sera présent, car ils sont tous en prison. Croyez-moi, le combat d’Adama, ce ne sera pas la famille Traoré qui va le gagner ; ce sera vous tous, ceux qui y ont participé : dans dix ans vous pourrez dire que vous y avez pris part, on fait tous partie de l’histoire », conclut-elle sous les applaudissements.