Au Cambodge, contre les prédateurs de la forêt
Reportage au cœur de la chaîne des Cardamomes, au Cambodge, où une jeune activiste se bat pour défendre les arbres ainsi que les populations qui les vénèrent. Textes de Lena Bjurström, photographies de Christopher Chriv
dans l’hebdo N° 1513-1515 Acheter ce numéro
Elle s’appelle Lim Kimsor, mais tout le monde l’appelle Gigi. Elle est tombée dans la marmite militante à l’adolescence, quand le gouvernement cambodgien a voulu expulser sa famille de ses terres, à Phnom Penh. C’était en 2009, sa première lutte, sa première colère. Depuis, Gigi n’a jamais cessé de résister. Dans un pays où l’expropriation est un problème majeur, la lutte pour les droits sociaux est intimement liée au combat environnemental. « Le gouvernement veut s’approprier les ressources naturelles du pays, les vendre à ses partenaires chinois, et peu importe l’impact sur les populations ou la nature », dénonce-t-elle. Quand, en 2013, elle débarque pour la première fois dans la vallée d’Areng, au cœur de la forêt protégée de la chaîne des Cardamomes, celle-ci est menacée par un projet de barrage hydroélectrique piloté par le gouvernement et une compagnie chinoise, SinoHydro. Le barrage engloutirait plus de 10 000 hectares de forêt, l’habitat naturel d’une trentaine d’espèces animales en danger et les terres ancestrales des Chong, une minorité ethnique dont les croyances et les traditions sont intimement connectées à la forêt.
Alors Gigi et d’autres jeunes activistes liés à l’ONG Mother Nature Cambodia se joignent aux villageois. Ils bloquent la seule voie d’accès à la vallée et multiplient les vidéos militantes qui se propagent sur les réseaux sociaux. Plusieurs centaines de milliers de vues et de partages plus tard, la lutte d’Areng est connue dans tout le pays et, en 2015, le gouvernement suspend le projet. Une victoire au futur incertain. La construction récente d’une nouvelle route est un mauvais présage pour les villageois. Elle ouvre l’accès de la vallée aux braconniers et aux prédateurs du précieux bois de palissandre, dont le marché chinois est si friand. Et augure un possible retour du projet de barrage, jamais officiellement annulé. D’autant que les élections du 29 juillet ne devraient que renforcer le pouvoir du Premier ministre, Hun Sen, longtemps défenseur du projet. Pour les Chong, la lutte pour protéger leur forêt est toujours aussi urgente. Aujourd’hui, avec l’aide de Gigi, ils cherchent à obtenir la reconnaissance officielle du statut de groupe ethnique, laquelle leur ouvrirait des droits en principe inaliénables sur leurs terres ancestrales. Et opposerait un obstacle de plus aux prédateurs de la forêt.