Batailles rangées pour arbres urbains
Face à des municipalités qui convoitent les terrains ou rechignent à entretenir les platanes ou les saules, des collectifs s’organisent contre les abattages.
dans l’hebdo N° 1513-1515 Acheter ce numéro
Enfin elle respire. « J’ai appris à l’instant que le Conseil d’État avait suspendu l’arrêté permettant au maire de Gien d’abattre les platanes », explique Pascale Romanin, coordinatrice du Collectif pour le centre-ville de Gien (Loiret). Ce 20 juillet marque pour elle l’aboutissement de deux ans de combat contre la municipalité divers droite. « En 2016, le maire a présenté un projet de requalification du centre-ville », se souvient-elle. L’abattage des 121 platanes qui bordent la Loire est prévu : une aberration pour de nombreux citoyens, qui s’organisent pour s’opposer au projet. « Ces arbres ont été plantés en 1834, ils ont survécu aux bombardements de 1944, ils sont le patrimoine de la ville », s’émeut Pascale Romanin.
Platanes, cèdres, tilleuls, saules… Les villes françaises comptent plusieurs centaines d’espèces résistant tant bien que mal au microclimat des villes, à l’air pollué, aux sols restreints et plus secs. Un patrimoine écologique coûteux pour les collectivités. Entre élagage, abattage, essouchement, contrôle, soin, plantation, arrosage, maintien des tuteurages et ramassage des feuilles, certaines préfèrent se séparer des espèces les plus anciennes pour en planter de nouvelles.
Recours administratifs, pétitions, certificats de parrainage de chacun des arbres bordant la Loire, médiatisation de l’affaire : Pascale Romanin n’a pas ménagé son temps pour alerter sur le risque de voir Gien privé de ses platanes. « Tous les dimanches, nous donnions rendez-vous aux citoyens sous les arbres pour leur faire signer des conventions de parrainage et manifester », explique-t-elle.
Cette réussite, durement acquise, est souvent citée en exemple. « Le travail qu’a réalisé ce collectif est impressionnant », confirme Marc Duplan, président de l’Association nationale de défense de l’arbre (Anda). Fondée en 2011, l’Anda dispense des conseils et une expertise juridique aux citoyens engagés dans la lutte contre les abattages.
Mais ces combats, même lorsqu’ils sont portés par des élus, ne sont pas toujours couronnés de succès. « La municipalité de Guyancourt a coupé 250 saules au printemps 2017 », raconte Juliette Sniter, conseillère municipale Europe Écologie-Les Verts de la ville des Yvelines. Du mail des Saules – nom de la voie piétonne qui relie la gare de Saint-Quentin au boulevard Paul-Cézanne –, il ne reste désormais plus que le mail. « Très tôt, j’ai été exclue des réunions destinées à décider du sort de ces arbres », confie l’élue. Dans le cadre des travaux du Grand Paris, la ville avait décidé de se passer de cette coulée verte. « On m’a expliqué qu’ils étaient malades, mais c’était faux, beaucoup d’entre eux étaient bien portants », se souvient-elle. Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ?
Outre leur beauté et le refuge que de hauts arbres constituent pour diverses espèces, préserver les espaces verts en milieu urbain est important pour l’ombre et la fraîcheur qu’ils procurent dans des villes souvent surchauffées par la pollution. Un « luxe » dont il est difficile de se passer. « Un humain peut vivre trois semaines sans manger, trois jours sans boire et trois minutes sans respirer », rappelle Philippe Bouriachi, militant écologiste à Orly (Val-de-Marne) et président du collectif Préservons nos parcs et espaces verts à Orly, qui lutte contre la suppression du bois Grignon. Cette surface boisée est concernée par un projet de construction de 50 habitations. « C’est un petit poumon de 3 hectares présenté par la municipalité comme une “friche”, déplore-t-il. Nous sommes cernés par l’aéroport et l’autoroute A106, alors peu importe sa petite taille : cet espace nous offre une respiration. »
Le maintien du bois Grignon constitue aussi un enjeu social. « Il jouxte des quartiers très défavorisés », explique Philippe Bouriachi. Tout comme les espaces verts, les parcs et les bases de loisirs, le bois permet aux familles des alentours de profiter d’un peu de nature. « Certaines d’entre elles n’ont pas la possibilité de partir en vacances. » Alors que l’urbanisation se poursuit, les citoyens sont, parfois, poussés à la radicalité. Et Philippe Bouriachi de prévenir : « Nous irons jusqu’à faire une ZAD s’il le faut. »