Cette Montagne d’or qui mine la Guyane

Le projet d’extraction soutenu par Macron suscite une large opposition dans le territoire. Dangereux pour l’homme, pour la nature, et symbole d’un développement néocolonialiste.

Daryl Ramadier  • 10 juillet 2018 abonnés
Cette Montagne d’or qui mine la Guyane
Photo : Site d’orpaillage illégal en Guyane, démantelé en 2004.
© Jack Guez/AFP

O n a accueilli le monde à bras ouverts et on nous ignore. Mais, cette fois, on ne lâchera pas. » La voix douce, presque fragile, d’Amandine Mawalum Galima contraste avec sa détermination. Le combat qu’évoque la porte-parole du mouvement Jeunesse autochtone de Guyane (JAG) est celui mené contre le projet minier Montagne d’or. À 7 000 kilomètres de Paris, l’avenir de centaines d’hectares de forêt amazonienne est en suspens. L’eurodéputé Yannick Jadot a profité de la consultation organisée par la Commission nationale du débat public, achevée le 7 juillet, pour inviter une délégation amérindienne à se faire entendre en métropole.

La Compagnie minière Montagne d’or (CMMO), co-entreprise associant la russe Nordgold et la canadienne Columbus Gold, porte le plus vaste projet d’extraction français. Une fosse, creusée par des milliers de tonnes d’explosifs, de 2,5 kilomètres de long sur 400 mètres de large, et dont la profondeur devrait dépasser 200 mètres. Sa surface totale (infrastructures comprises) avoisinera les 800 hectares (8 km2), mais la déforestation touchera 1 500 hectares de forêt – dont un tiers de primaire –, à proximité de la réserve biologique intégrale de Lucifer Dékou Dékou, la plus grande du pays. La CMMO a recensé au moins 2 104 espèces végétales et animales sur le site minier, d’où elle compte tirer 85 tonnes d’or en douze ans.

« Les gens continuent à traverser les océans pour venir piller nos terres », lance ­Christophe Yanuwana Pierre, fin juin, sur l’estrade de la salle du Consulat de la Gaîté à Paris. Membre de la JAG, il a fait la tournée des médias et poursuit devant la centaine de personnes présentes ce soir-là. Parmi elles, on reconnaît les acteurs Lambert Wilson et Olivier Rabourdin. Le comédien et ancien syndicaliste Xavier Mathieu est aussi venu dénoncer le « néocolonialisme » qui transpire du projet.

« Viol du droit international »

En Guyane, l’histoire de l’exploitation aurifère et celle de la colonisation s’entrechoquent. La ruée vers l’or a conduit à la disparition de milliers d’autochtones. Ce territoire, « les puissances de l’Europe de l’Ouest s’y sont combattues et se le sont partagé, raconte le Groupe international de travail pour les peuples autochtones. Les sociétés amérindiennes en ont subi les conséquences, par une perte démographique (due à l’introduction de maladies et de l’alcool, aux chasses aux esclaves et aux guerres), puis par la dislocation de leurs réseaux politiques interethniques. »

La perpétuation de ces pratiques est aujourd’hui pointée du doigt. « La France s’indigne parce que Daech fait éclater des statues et brûle des livres, mais on fait la même chose en Amazonie avec nos vestiges », soupire Christophe Yanuwana Pierre, soulignant que la mine détruira des sites ancestraux. Applaudissements nourris dans la salle. Édith Patrouilleau, cofondatrice du Comité de solidarité avec les Indiens des Amériques, parle d’un « génocide culturel. C’est le même combat du nord de l’Alaska à la Terre de Feu ! Décolonisons nos esprits ».

Les défenseurs des peuples de Guyane (Organisation des nations autochtones, Fédération Parikweneh, Collectif des premières nations…) s’insurgent contre un « viol du droit international ». « Nous sommes à 7 000 kilomètres des prises de décisions qui nous affectent », se désole Alexis Tiouka, qui s’est battu aux Nations unies pour la reconnaissance des Amérindiens. L’affaire rappelle douloureusement que la France n’applique pas la déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones. Elle n’a pas non plus ratifié la convention 169 de l’Organisation internationale du travail relative aux peuples indigènes et tribaux. Contraignante, celle-ci permettrait aux autochtones de désapprouver un projet qui porte atteinte à leurs intérêts. Ils demandent à bénéficier d’un droit de veto sur la Montagne d’or. « La France refuse de reconnaître les populations autochtones et les droits collectifs, estime Dominique Guibert, secrétaire général de la Ligue des droits de l’homme. Elle nie ses responsabilités anthropologiques. »

Un projet énergivore

La contestation rassemble aussi les environnementalistes, qui dénoncent un projet énergivore. L’association Sauvons la forêt a calculé que 140 000 litres d’eau par heure seraient nécessaires à l’extraction, qui nécessiterait une alimentation de 20 mégawatts et représenterait, au début de la production, environ 8,5 % de la consommation électrique guyanaise. Près de 200 millions de litres de fuel seraient consommés, selon France nature environnement. Et le collectif Or de question évalue à 200 000 tonnes les déchets miniers contenant des métaux lourds (arsenic, mercure, plomb) entreposées en réservoir à proximité de la fosse. Près de 46 500 tonnes de cyanure devraient être utilisées pour séparer l’or de la roche. Les eurodéputés ont voté deux fois pour son interdiction dans l’industrie minière, ­rejetée par la Commission européenne. Le risque : qu’un désastre se produise en cas d’erreur humaine, d’une pluviométrie exceptionnelle ou d’un événement climatique. En mai 2010, le Parlement européen établissait que « des règles de prudence et des garanties financières raisonnables font toujours défaut et que la mise en œuvre de la législation existante en matière d’utilisation du cyanure dépend également des capacités des pouvoirs exécutifs de chaque État membre, si bien qu’un accident se produira tôt ou tard en raison d’une négligence. »

Mexique, Canada, Guyana : les catastrophes sur les sites miniers ne manquent pas. La plus emblématique, en Roumanie, a vu se déverser 100 tonnes de cyanure dans la Tisza et le Danube (2000), contaminant l’eau de millions d’usagers et tuant des espèces protégées. Au Brésil, la rupture de barrages de Bento Rodrigues, près de Mariana (2015), a emporté au moins 17 vies.

« Ce ne sont pas des catastrophes, cela résulte de choix d’entreprises conscientes des risques », accuse Marion Veber, responsable du programme droits des peuples chez France Libertés. L’approbation du projet ferait donc de l’État un complice indirect. Or, Emmanuel Macron, qualifié de « pro-mines » dans ­Challenges (onze permis de recherche accordés quand il était à Bercy), soutient la Montagne d’or. « Incohérent au regard des engagements pris sur le changement climatique », tranche Marion Veber. Sa fondation a remis un prix Danielle-Mitterrand au collectif Or de question.

Un projet « colonialiste et écologiquement dangereux » ?

Lors de la COP 23, le tribunal (citoyen) des droits de la nature recommandait la suspension du projet, tenant « l’État pour responsable s’il venait à l’autoriser, et par conséquent de tout dommage pouvant survenir ». Nicolas Hulot est dans l’embarras, lui qui s’était battu contre un autre projet minier en Guyane, Cambior, finalement abandonné en 2008. « En tant que numéro trois du gouvernement, on n’imagine pas qu’il ne gagne pas cet arbitrage », espère Yannick Jadot.

Les élus guyanais sont rares à s’opposer au projet, « faute d’alternatives économiques proposées par l’État, regrette Jean-Paul ­Ferreira, maire d’Awala-Yalimapo. Problèmes de sécurité, de santé, de scolarisation, d’infrastructures : ce que l’on vit ne peut être imaginé de l’autre côté de l’océan ». Le taux de pauvreté du département, durement touché par le chômage (22 %), dépasse les 40 %.

La CMMO compte sur cette situation pour faire accepter sa méga-mine en promettant des emplois (lire notre article « Mirage économique »). Mais les acteurs du mouvement social de mars-avril 2017 n’adhèrent pas tous, à l’image de l’Union des travailleurs guyanais (UTG), pour qui la Montagne d’or est un projet _« colonialiste et écologiquement dangereux ». Faut-il s’attendre à une résurgence de la contestation ? « On va utiliser toutes les armes à disposition, prévient Christophe Yanuwana Pierre, prêt à se battre sur place. Face à nous, on n’aura pas des gendarmes avec des flash-balls, mais des mecs avec leurs chiens de garde et leurs kalachnikovs. En Amazonie, les pratiques illégales sont courantes et le degré de violence peut monter très vite. »

Circonspectes face au bilan qui sera tiré de la concertation publique, de plus en plus de voix plaident pour une consultation référendaire. Une pétition demandant à Emmanuel Macron d’arrêter Montagne d’or vient d’atteindre les 248 000 signatures. Une étude de l’Ifop commandée par WWF France rapporte que, sur 608 Guyanais interrogés, 69 % se disent opposés au projet. Dans les rues de Saint-Laurent du Maroni, l’opposition prend de l’ampleur. « On a gagné le débat public, veut croire Christophe Yanuwana Pierre. À chaque réunion il y avait plus de monde. C’est tout un défi quand une multinationale promet du travail aux Guyanais. Nous, nous n’avions rien, même pas de transport pour aller discuter avec les gens. Le fait qu’on soit ici aujourd’hui est déjà une réussite. » Le compte rendu du débat public sera publié d’ici deux mois. Le maître d’ouvrage, la CMMO, aura jusqu’à décembre pour décider de la suite qu’il donne au projet. Si elle est autorisée par l’État, la Montagne d’or entrera en exploitation en 2022.

Écologie
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