Délit de solidarité : La fraternité enfin consacrée
Le Conseil constitutionnel statue qu’une aide désintéressée aux migrants ne peut être un délit. Une victoire pour Cédric Herrou et les accueillants de la frontière des Alpes.
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Cinquante gendarmes mobiles stationnent encore devant chez Cédric Herrou. Mais, ce 7 juillet au matin, cette figure de la solidarité avec les migrants se dit un peu rassurée. La veille, le Conseil constitutionnel a affirmé qu’une aide désintéressée au séjour irrégulier ne saurait être passible de poursuites au nom du « principe de fraternité ». « Il a fallu que des juristes m’expliquent pour que je mesure la portée de cette décision », confie l’agriculteur de Breil-sur-Roya (Alpes-Maritimes). Pour la première fois consacré par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le « principe de fraternité » devra désormais « être respecté par le législateur ».
Si l’aide au passage des frontières reste un délit, chacun « a la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans condition de la régularité de son séjour sur le territoire national ». Ce « principe de fraternité » vient donc contrer le « délit de solidarité » qui traîne en justice bon nombre de personnes secourant des migrants. Le Conseil constitutionnel demande également une révision des passages du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) et impose qu’aucun acte « humanitaire » ne soit puni au titre de l’aide au séjour et à la circulation irrégulière. « Dans cette époque de gouvernement par la peur, ce mot “fraternité” est comme une lueur, glisse Cédric Herrou. Mais je suis surpris qu’on ait attendu 2018 alors que la fraternité s’affiche sur tous les frontons… »
L’élément déclencheur, c’est une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) présentée par Cédric Herrou et Pierre-Alain Mannoni, autre figure de l’aide aux migrants dans les Alpes-Maritimes. Portée par les avocats Patrice Spinosi et François Sureau, cette QPC a été remise par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel le 11 mai.
Le principe de fraternité figure dès le préambule de la Constitution au titre de « l’idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité ». Il apparaît également dans l’article 2, qui prévoit que « la devise de la République est “Liberté, Égalité, Fraternité” ». Et il est corollaire d’un autre principe constitutionnel, « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine ». Reste à savoir pourquoi il n’avait encore jamais été constitutionnellement garanti.
Cédric Herrou, qui a subi depuis août 2016 six perquisitions et neuf gardes à vue, n’est pas tiré d’affaire pour autant, car il a aidé des personnes à passer la frontière. « Mais nombre de procédures pour délit de solidarité vont dorénavant être interrompues », se félicite-t-il, en citant notamment le jeune Raphaël Faye, les quatre retraités de la Roya, les trois de Briançon ou Martine Landry. « Je m’étonne qu’il ait fallu arriver jusqu’au Conseil constitutionnel pour dépénaliser l’aide à personne en détresse », glisse Suzel Prio, de l’association La Roya citoyenne, en appelant à la vigilance.
Même sentiment pour Pierre-Alain Mannoni, qui s’inquiète de la distinction persistant entre geste « humanitaire » et geste « militant » : « Au moment des faits qui me sont reprochés, je n’étais pas militant, rappelle l’enseignant-chercheur au CNRS. Je n’étais membre d’aucune association… Mais le juge de la cour d’appel d’Aix m’a fait considérer comme militant sur la base d’un texto où je demandais où déposer des personnes sans papiers. Les juges qui veulent condamner ou décourager trouvent toujours des arguments. Les forces qui s’opposent au principe de fraternité ne sont pas des moindres. »
Pierre-Alain Mannoni ne comprend pas qu’il faille invoquer la Constitution pour limiter les poursuites contre des gestes d’humanité, quand les chasses à l’homme qui poussent des migrants à sauter dans le vide ou à griller sous des trains ne mettent en cause aucune responsabilité.