Écologie partout, écologistes nulle part

L’écologie politique a infusé presque toute la gauche. En 2017, elle était au cœur des programmes de Jean-Luc Mélenchon et de Benoît Hamon. Alors que les « écolos » semblent avoir gagné la bataille des consciences, ils sont de moins en moins audibles politiquement. État des lieux d’un paradoxe.

Agathe Mercante  • 4 juillet 2018 abonné·es
Écologie partout, écologistes nulle part
© photo : BERTRAND GUAY/AFP

Certes, à la présidentielle de 2017, Benoît Hamon, candidat d’une alliance PS-Europe Écologie-Les Verts, n’a obtenu que 6,5 % des suffrages.

Au PCF, la révolution verte attendra

Pour les membres les plus jeunes et les plus progressistes du Parti communiste français, elle est une nécessité. Mais nombre de cadres du parti restent tiraillés entre productivisme et croissance mesurée. Multiplication des richesses pour mieux les redistribuer et rationalisation des modes de consommation. Signe de cette dichotomie, le seul élu communiste présent à l’Assemblée nationale lors du vote de l’amendement proposant l’interdiction de l’épandage de glyphosate, le député Sebastien Jumel, a voté contre.

Tout comme lui, de nombreux cadres et élus du PCF portent encore les stigmates d’une idéologie plaçant l’humain au centre. Mais pas n’importe lequel : le travailleur, l’agriculteur, le salarié. « La lutte des classes est au cœur de notre vision de l’écologie », confirme Hervé Bramy, responsable national du pôle écologie du parti. Il plaide pour la mise en place de nouveaux modes de production plus verts, initiés et concertés entre l’entreprise et ses salariés, mais pas l’arrêt des émissions polluantes. « Aujourd’hui, on oppose l’homme à la nature, alors que ce sont les besoins des hommes qu’il faut opposer aux ressources que peut fournir la planète », analyse-t-il.

Nucléaire, OGM, principe de précaution sont autant de sujets qui clivent au sein de l’exécutif du PCF. Chose rare, ces réflexions et ces ambivalences se trouvent être en adéquation avec leurs militants. Selon une enquête menée auprès des adhérents, l’écologie n’est placée qu’en troisième position des préoccupations, loin derrière l’emploi et le pouvoir d’achat.

Était-ce l’impossible inventaire du quinquennat socialiste, le lâchage par le parti à la rose de son candidat, ou encore un vote « utile » pour la France insoumise (par ailleurs acquise à la « planification écologique »)… Chaque commentateur patenté y est allé de son analyse. Les faits parlent pourtant d’eux-mêmes ; l’écologie, en France, a essaimé partout, si bien que la question se pose : désormais au centre des discours, l’écologie politique doit-elle encore exister en tant que parti, ou s’accomoder de son influence culturelle et politique, qui va bien au-delà de son seul score électoral ? Son inscription dans la Constitution française, comme le souhaite Nicolas Hulot, pourrait même sonner comme un triomphe pour la plupart des écologistes de la première heure. Alors comment expliquer que, quel que soit leur bord, ils sont réduits au murmure, celui d’une opposition qui peine à trouver sa place, ou au sein de la majorité, en petit nombre et méprisés par les caciques de la macronie (lire ici) ?

« Fiasco des Verts »

Née avec les Verts, dans les années 1980, la transposition des luttes écologistes dans l’action publique peine à trouver un nouveau souffle. Dans « Qu’est-ce que l’écologie politique », paru en 2010 dans la revue Écologie & Politique, le philosophe et militant écologiste Jean Zin invitait ses acteurs à s’adresser à l’intelligence collective et non à convertir les âmes ; à s’extraire des questions morales et à porter de vrais projets politiques. Huit ans plus tard, il constate avec amertume : « Avec le fiasco des Verts, elle n’a plus sa place à l’échelle nationale. » Un constat que ne partagent pas ses représentants, dont le nombre a considérablement augmenté. Longtemps portées par les Verts et Génération écologie, les réflexions sur le changement climatique, la protection de la biodiversité, le lien entre l’environnement et la santé ont depuis de nouveaux porte-voix. « Les partis politiques traditionnels utilisaient ces formations comme des satellites pour s’éviter d’avoir à développer des programmes écologistes ; dans un sens, le fait qu’ils aient eux-mêmes intégré l’écologie à leurs programmes est une avancée notable », analyse Matthieu Orphelin, député de La République en marche et proche de Nicolas Hulot. Présente dans le programme du Front de gauche en 2012, centrale dans celui de la France insoumise en 2017, l’écologie est désormais le fer de lance du nouveau parti de Benoît Hamon, Génération·s ; présente au PS, dont nombre de maires parlent désormais « vélib » et écologie urbaine ; et même – dans une moindre mesure – inscrite au programme du Parti communiste. Mais face aux logiques productivistes et aux sacro-saints objectifs de croissance, la route de ces partis est longue et semée d’embûches.

« Aux États-Unis, Donald Trump dénonce l’écologie à des fins populistes, il la présente comme une entité qui empêche les Américains d’exercer leur liberté », constate Marie Toussaint, présidente de l’association Notre affaire à tous et déléguée Europe et jeunesse au sein d’EELV. Une façon habile, pour les nationalistes de tout poil – de Donald Trump à Viktor Orbán – de mettre dans le même sac écologie et capitalisme, et d’y opposer un protectionnisme national. Car le changement climatique, l’épuisement des ressources planétaires et la pollution ne reconnaissent ni les États ni leur souveraineté : ils s’imposent à tout être humain, où qu’il soit. Faire de l’écologie politique un oppresseur permet alors de décrédibiliser le combat… et de polluer à volonté. Les quelques règles et accords internationaux en la matière, obtenus au forceps lors des différents sommets, sont pourtant aisément contournables. Sans mesures coercitives, ces accords – tel celui de Paris, à l’issue de la COP 21 – n’astreignent que ceux qui souhaitent s’y tenir. Et l’écologie politique ne s’oppose pas qu’aux populismes nationaux. À l’autre bout de l’échiquier, c’est au libéralisme qu’elle s’attaque : impossible de croître et de produire toujours plus dans un monde aux ressources finies. « Nos dirigeants sont hors-sol, hors de la planète », constate Marie Toussaint. « On ne peut pas utiliser plus que ce que la planète possède », confirme Martine Billard, oratrice nationale de la France insoumise et coanimatrice du livret Planification écologique et règle verte. « Si l’humanité consommait autant de ressources que les Français, il faudrait 3,5 planètes », calcule-t-elle.

« Le nouveau clivage politique, ce n’est plus l’opposition gauche sociale et droite libérale, c’est celui du productivisme », analyse Géraud Guibert, fondateur du pôle écologie du PS et désormais président de la Fabrique écologique, un think-tank transpartisan. Entre croissance effrénée et décroissance souvent perçue comme régressive, les partis écologistes tentent de composer. Reste à convaincre les électeurs. Car les défenseurs de l’écologie sont formels : c’est le rapport de l’humanité tout entière à son environnement qu’il faut revoir. Sans entrer dans la dissertation de philosophie, l’idée s’articule comme suit : l’être humain a d’abord eu besoin de dompter son environnement, de le surpasser ; puis est venu le temps de prendre en compte cette nature et d’essayer d’avoir un impact réduit sur elle. Désormais, c’est une nouvelle période qui s’ouvre. « La planète peut très bien vivre sans l’homme, mais la réciproque n’est pas vraie », rappelle Marie Toussaint à toutes fins utiles. « Ce n’est pas la Terre qui est en danger, c’est la vie qu’elle abrite », abonde Jean-François Debat, qui mène le chantier « écologie » du PS. Charge à l’humanité d’assurer sa survie en préservant son environnement. « Les enquêtes d’opinion montrent qu’il s’agit d’un problème pour la majorité des Français, mais ça n’est pas une priorité », déplore Géraud Guibert. S’ils maîtrisent parfaitement la théorie, les partis politiques à tendance écologiste peinent cependant sur la pratique.

Pragmatisme

S’ils ont une mince chance d’y parvenir, c’est que les effets du changement climatique et l’épuisement des ressources sont désormais visibles. « La désertification du Sahel, les inondations au Bangladesh en sont des exemples », détaille Martine Billard. Mais les défaites politiques ont eu raison de l’électorat du premier porteur de cette idée, EELV. En 2017, « pour la première fois depuis 1974, il n’y avait pas de candidat du parti écologiste à une élection présidentielle », rappelle Géraud Guibert. Dans sa note « 2017, la triple rupture de l’écologie en politique », la Fabrique de l’écologie dresse quelques recommandations à l’égard des partis qui portent l’écologie dans leurs programmes. « Il faut intéresser les électeurs de façon pragmatique, analyse-t-il. Les politiques aujourd’hui ont un problème à articuler leur raisonnement entre les problèmes globaux et les actions du quotidien. » Ainsi, l’engagement de Benoît Hamon contre les perturbateurs endocriniens, de même que l’idée de la planification écologique portée par la France insoumise. « Les grandes entreprises savent très bien planifier », défend Martine Billard, qui plaide également pour une « règle verte » qui impose de ne pas prélever plus que ce que la planète peut produire. « Soit nous sommes capables de mettre en place une décroissance planifiée, soit l’humanité subira une décroissance sauvage », explique-t-elle. Si la France insoumise envisage l’écologie à l’échelle nationale, en appui aux initiatives locales, et se rêve en moteur à l’international, chez Génération·s, on insiste sur le rôle clé des institutions supranationales. L’Union européenne, notamment. « Il faut que les prochaines élections européennes voient l’arrivée massive d’élus écologistes », insiste Yves Contassot, en charge du pôle « L’avenir soutenable » du mouvement, qui comprend l’écologie, l’énergie, l’alimentation et l’agriculture. Si le mouvement parvient à nouer des alliances avec d’autres partis européens – telle l’initiative Hope Is Back, menée notamment avec Yanis Varoufakis –, cette mécanique en France est enrayée par la volonté d’EELV de se présenter seul aux élections européennes de 2019.

Retour au local

« Le drame d’EELV, ce sont les ego », tacle Jean Zin. Des attitudes qui desservent, selon lui, la philosophie générale de l’écologie politique, définie par ses représentants comme égalitariste et assortie d’un puissant volet social. « Les nouveaux damnés de la Terre existent, explique Pascal Durand, eurodéputé EELV : ce sont les populations qui subissent déjà les effets du bouleversement climatique. » Un phénomène que l’on peut déjà constater en Europe : en Grande-Bretagne, 16 % des plus démunis vivent dans des zones inondables, contre 1 % des ménages les plus aisés, révèle Marie Toussaint. C’est également en Angleterre que les écologistes enregistrent les meilleurs scores. Mais à l’échelle locale ! « Le seul domaine d’où proviennent les initiatives écologistes réussies, c’est au niveau des municipalités », estime Jean Zin. Et d’insister sur le poids des associations de défense des écosystèmes, « adaptées à l’échelle d’un territoire, elles répondent à des besoins propres ». Ce retour à une politique plus ciblée et plus sectorisée, d’autres le préconisent, y compris sur le plan de l’agriculture. « Il faut favoriser les circuits courts, et produire plus local, explique en ce sens Jean-François Debat. Il faut rapatrier sur notre territoire une partie de ce que nous importons afin de moins peser en termes d’émissions de gaz à effet de serre. » Sensibiliser et accompagner les initiatives locales et appuyer les associations pourrait donc être un levier de poids pour l’écologie politique. Mais en ville aussi, les choses changent.

Amsterdam, Grenoble, Rotterdam… plusieurs métropoles européennes sont, ces dernières années, passées sous pavillon écolo. Plus sensibles à ces questions, les jeunes urbains montrent une attention croissante à l’écologie et repensent leurs modes de consommation. « Le recours à la voiture en est un bon exemple, explique Yves Contassot. Il y a quelques années à peine, il était normal que tous les citadins aient le permis de conduire, voire un véhicule. Aujourd’hui, ils sont de moins en moins nombreux à y trouver une utilité. » D’objet à posséder, l’automobile est désormais devenu un service, que l’on peut louer ou emprunter. En ville tout du moins. « Le renouveau de l’écologie politique peut tout à fait commencer par les élections locales », estime Marie Toussaint. Le retour à ce type de gouvernance est de toute façon leur seule option : il y a longtemps qu’aux élections nationales les écologistes ne remportent plus l’adhésion.

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