Éric Pliez, président du Samu social de Paris : « Le 115 gère la pénurie »

Le 115 prend un appel sur trois à Paris. Même avec d’avantage d’écoutants, le numéro du Samu social de Paris ne pourrait pas répondre à plus de demandes dans la capitale. Les explications de son président, Éric Pliez.

Ingrid Merckx  • 26 juillet 2018
Partager :
Éric Pliez, président du Samu social de Paris : « Le 115 gère la pénurie »
© photos : THOMAS COEX / AFP ; Samu social

Les cris d’alarmes se succèdent depuis des années. Actuellement, le Samu social de Paris fait face à un manque de places d’hébergement d’urgence tel que, chaque jour, près de 600 personnes se voient refuser leur demande. Les places créées cet hiver n’ont pas toutes été pérennisées. Pourtant, la rue tue l’été aussi, a fortiori en pleine canicule. Plus de 200 enfants sont aujourd’hui sans domicile fixe dans la capitale. Et des femmes enceintes qui ne parviennent pas toutes à joindre le 115 ou à se réfugier à l’hôpital, comme Awa (lire le témoignage d’un Parisien qui a hébergé Awa, femme enceinte de sept mois à la rue). Toutes les jeunes mères ne connaissent pas le réseau Solipam qui leur propose une prise en charge avec leurs jeunes enfants. Mais là aussi, avec des délais. En outre, Solipam accompagne mais n’héberge pas. Le président du Samu social, Éric Pliez, alerte à nouveau sur la manque criant de places d’hébergement d’urgence, et de logement accessibles aux personnes précaires au sortir de l’hébergement d’urgence.

© Politis

Une femme enceinte de sept mois et avec un enfant de 2 ans à la rue à Paris, sans solution d’hébergement malgré sa situation d’urgence médicale… Est-ce une situation exceptionnelle ?

Normalement, une femme enceinte de sept mois fait partie des publics absolument prioritaires. Mais on manque de places, y compris en hôtel meublé. Il est possible aussi qu’elle n’ait pas réussi à joindre le 115, qui prend environ un appel sur trois. Le premier conseil à donner, c’est donc d’insister au téléphone ! Mais nous refusons des personnes au 115 tous les jours. Aujourd’hui, c’est environ 130 familles – soit 400 personnes dont la moitié sont des enfants – et une centaine de personnes isolées par jour que le 115 ne peut prendre en charge parce que nous n’avons pas de places à leur proposer. Il faut donc aussi considérer tous ceux qui n’osent pas nous appeler et ceux qui essaient de nous appeler et, ne parvenant pas à nous joindre, se découragent. Cet hiver, un gros effort a été fait avec la création de 2 800 places d’hébergement d’urgence à Paris, contre 1 300 l’hiver d’avant. On n’a déploré quasiment aucun refus de prise en charge pour des familles ou des femmes seules. Mais c’est à cette période que s’est organisée la grande enquête sur la maraude à Paris qui a révélé, lors d’une nuit de la solidarité organisée pour compter les personnes sans abri le 15 février, que 3 000 personnes dormaient dehors ce soir-là. Malgré les places créées, tout le monde n’était pas à l’abri.

À lire aussi >> Quand le 115 ne répond pas

À la fin de l’hiver, ces places n’ont pas été pérennisées ?

Nous avions l’espoir que l’élan se poursuive. Mais nous sommes retombés dans la situation habituelle : près de 300 demandes non satisfaites chaque jour. Dont une centaine d’enfants. Les pérennisations de places décidées n’ont pas permis, et de loin, de couvrir les fermetures de structures temporaires. Cela signifie qu’on continue la gestion dite au thermomètre dénoncée maintes fois. Tout le monde est plus sensible au fait que des gens dorment dehors en hiver, mais quand on vit dans la rue l’été, les risques ne disparaissent pas.

Le Samu social est-il en sous-effectifs d’écoutants ?

Le problème majeur reste le manque de places ! Avec cinq écoutants de plus au téléphone au quotidien mais pas davantage de places d’hébergement on répondrait plus souvent et plus vite mais on n’hébergerait pas plus. Nous avons aussi un problème de fluidité : une fois rentrés dans le dispositif d’hébergement les gens n’en sortent pas parce qu’il n’y a pas de logements accessibles aux personnes à faibles ressources. En outre, une partie de notre public est en attente de régularisation. C’est pourquoi nous prônons la création de places d’hébergement supplémentaires pérennes, la mobilisation tous les partenaires de « l’aval » de l’hébergement – en premier lieu les bailleurs sociaux, les collectivités locales mais aussi le secteur médico-social – pour accélérer massivement les sorties d’hébergement et que les personnes en situation irrégulière puissent avoir accès à un titre de séjour même provisoire qui leur permette d’accéder au travail pour ensuite pouvoir se loger.

Quelles solutions de logement à la sortie des centres d’hébergement ou des hôtels meublés ?

La seule issue aujourd’hui pour les personnes à faibles ressources, c’est le logement social. C’est pourquoi nombreux restent bloqués dans l’hébergement même quand ils n’ont plus rien à y faire. On est donc complètement en phase avec la volonté politique de développer le logement d’abord : des gens qui peuvent rester dans un logement avec un accompagnement s’ils en ont besoin. Mais il faut créer des offres de logement qui ne sont actuellement pas sur le marché. Car certains deviennent des proies pour les marchands de sommeil.

Pour une femme enceinte précaire, la solution c’est le réseau Solidarité Paris Maman (Solipam) ?

Une femme enceinte en situation de précarité doit d’abord se tourner vers les services sociaux de proximité ou les accueils de jours pour femmes ou familles pour que soient activées l’ensemble des démarches possibles, du suivi de grossesse au dépôt de demande d’accès à un centre maternel – structure dépendant des conseils départementaux – en passant par la saisie du service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) de Paris. Mais ces acteurs, comme Solipam qui est un réseau qui s’occupe de jeunes mamans avant ou après l’accouchement, sont confrontés à la pénurie de place et finissent par se tourner vers le 115 ou le SIAO urgence pour tenter de trouver rapidement une solution de mise à l’abri.

Avec l’APHP, on a mis récemment en place une structure au sein de l’Hôtel-Dieu qui accueille un peu plus de 50 mères soit enceintes, soit avec des nourrissons. Il faut absolument développer ce genre de dispositif car on est de plus en plus contactés par des femmes enceintes qui rencontrent des difficultés soit familiales, soit sont coupées, ou veulent se couper, des réseaux communautaires.

C’est donc le 115 ou rien ?

Soit on est pris en charge en amont et on est suivi pour sa grossesse dans un hôpital ou un service social de proximité, soit le 115 ou le SIAO joue le rôle de régulateur. Mais les équipes gèrent la pénurie en permanence : c’est très difficile pour elles de devoir choisir au téléphone entre prendre en charge une femme enceinte de 7 mois et une femme enceinte de 6 mois qui attend des jumeaux, par exemple. Ce sont des dilemmes cornéliens. Sans places supplémentaires, le destin professionnel des équipes du Samu social est de devoir prioriser l’impriorisable alors que l’accueil est en principe inconditionnel !

© Politis

Le 28 mai, un article du Parisien révélait que des familles logées en hôtels meublés avaient été expulsées au motif de « changement de critères » au Samu social des Hauts-de-Seine. Qu’est devenue cette affaire ?

L’affaire s’est heureusement calmée : le finançeur, c’est-à-dire l’État, est revenu en arrière. Ce qui se passe, c’est qu’un plafonnement budgétaire des nuits d’hôtel a été décrété : chaque année, arrivés en septembre, tous les départements ont à peu près utilisé tout leur budget hôtel. En général s’ouvre alors une négociation avec le ministère des Finances pour obtenir des rallonges. Le département des Hauts-de-Seine avait anticipé la panne en établissant un nouveau critère : les femmes avec des enfants de plus de 3 ans ne seront plus prises en charge à partir de telle date. C’est une double erreur selon moi car on peut obtenir des rallonges avec une volonté commune. En outre, la prise en charge des moins de 3 ans est théoriquement du ressort du conseil départemental. Donc il aurait été plus habile que l’État se tourne vers ce partenaire pour qu’il rallonge l’enveloppe jeunes enfants. C’est la solution qui se profile aujourd’hui. Chaque département a aujourd’hui son propre 115 et son quota de nuitées hôtelières. En principe, les critères ne devraient pas changer d’un département à l’autre. Le 92 a voulu faire du zèle. Ce déplacement du curseur n’est pas admissible. C’est du ressort de l’État d’assumer de mettre des gens à la rue. Le Samu social continue pour sa part à défendre l’inconditionnalité de l’accueil.

Mais en temps de pénurie l’inconditionnalité se heurte à une logique de tri. Les critères de prise en charge sont-ils publics ?

Le Samu social doit prendre en charge les plus vulnérables : enfants, femmes enceintes, personnes malades, personnes fragiles… C’est le premier critère. L’appréciation de la vulnérabilité des situations se fait soit au téléphone, soit via les travailleurs sociaux qui nous saisissent. S’il y a nécessairement une part de subjectivité dans cette appréciation des écoutants – et heureusement d’une certaine manière, car sinon on remplacerait le travail social par des algorithmes –, le problème c’est de devoir prioriser entre des situations tout aussi urgentes les unes que les autres. En tout cas, le Samu social de Paris ne subit pas de pression particulière sur les critères de priorisation, notamment sur le fait que les gens soient migrants ou pas migrants.

Pourquoi des familles à la rue n’acceptent-elles pas toujours de repartir avec les maraudes ?

Des personnes peuvent faire la manche jusqu’à 21 heures ou 22 heures et repartir en hôtel meublé ensuite. C’est plus difficile lorsque l’on est hébergé dans une structure qui implique un accompagnement et notamment la scolarisation des enfants. Les grands exclus peuvent refuser un hébergement. C’est pourquoi le travail des maraudes est essentiel : elles les ramènent vers une capacité à être hébergés. On a de très beaux exemples de personnes à qui a été proposée une solution pas trop éloignée du lieu auquel elles sont habituées. Mais il faut aussi proposer des solutions durables, parce que quand on dit à quelqu’un scotché à son trottoir depuis des années qu’il va être hébergé une nuit, il va accepter une fois ou deux parce qu’il fait très froid, et la troisième refuser. Si on prend le temps de rassurer les gens, et d’inscrire les solutions dans la durée, personne ne refuse d’hébergement.

Est-il exact que certains hôtels utilisent la « prime 115 » – délivrée à ceux qui réservent des chambres à l’hébergement d’urgence – pour faire des travaux, puis se désengagent du 115 une fois ces travaux terminés ?

Les hôtels meublés sont très contrôlés via des audits éclairs et imprévus des agents du Samu social de Paris dont c’est aussi une mission. Nous articulons de plus en plus ces actions d’audits avec les services de l’État dotés de compétences de contrôle de toute nature. Mais il est évident que les hôteliers, en s’assurant grâce à l’hébergement social, d’un taux de remplissage de leur établissement proche de 100 %, bénéficient d’une situation confortable. Mais, ce que je continue à déplorer, c’est qu’en hôtel meublé, les personnes ne sont pas suivies sur le plan social, ne peuvent pas toujours cuisiner et n’accèdent pas toutes à des distributions alimentaires adaptées à leurs besoins. Enfin, la facture est souvent élevée en regard de la qualité de l’hébergement proposé.

Quid de la circulaire sur les contrôles d’identité des migrants dans les centres d’hébergement ?

Le Conseil d’État a sérieusement laminé cette circulaire… Un projet en Île-de-France essaie de sortir par le haut de cette affaire : nous travaillerions main dans la main avec les services de la Direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement (Drihl) pour essayer d’accélérer la sortie des familles volontaires et demandeuses. Beaucoup de gens restent bloqués dans l’hébergement d’urgence alors qu’ils sont soit réfugiés statutaires, soit travailleurs pauvres. S’ils étaient relogés plus rapidement, ils libéreraient autant de places. Ce « protocole de fluidité » est le résultat de longues négociations. La préfecture a fait preuve d’écoute. On essaie d’avancer…

Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Les personnes LGBT+, premières victimes de violences sexuelles
Étude 21 novembre 2024 abonné·es

Les personnes LGBT+, premières victimes de violences sexuelles

Une enquête de l’Inserm montre que de plus en plus de personnes s’éloignent de la norme hétérosexuelle, mais que les personnes LGBT+ sont surexposées aux violences sexuelles et que la transidentité est mal acceptée socialement.
Par Thomas Lefèvre
La santé, c’est (avant tout) celle des hommes !
Santé 21 novembre 2024 abonné·es

La santé, c’est (avant tout) celle des hommes !

Les stéréotypes sexistes, encore profondément ancrés dans la recherche et la pratique médicales, entraînent de mauvaises prises en charge et des retards de diagnostic. Les spécificités féminines sont trop souvent ignorées dans les essais cliniques, et les symptômes douloureux banalisés.
Par Thomas Lefèvre
La Confédération paysanne, au four et au moulin
Syndicat 19 novembre 2024 abonné·es

La Confédération paysanne, au four et au moulin

L’appel à la mobilisation nationale du 18 novembre lancé par la FNSEA contre le traité UE/Mercosur laisse l’impression d’une unité syndicale, qui n’est que de façade. La Confédération paysanne tente de tirer son épingle du jeu, par ses positionnements et ses actions.
Par Vanina Delmas
À Toulouse, une véritable « chasse à la pute »
Prostitution 18 novembre 2024 abonné·es

À Toulouse, une véritable « chasse à la pute »

Dans la Ville rose, les arrêtés municipaux anti-prostitution ont renforcé la précarité des travailleuses du sexe, qui subissent déjà la crise économique. Elles racontent leur quotidien, soumis à la traque des policiers et aux amendes à répétition.
Par Pauline Migevant