Festival d’Avignon : Exilés de l’intérieur

Dans leur pays d’origine, on ne joue ni avec le genre ni avec la sexualité. Alors, même sans la guerre, ils auraient été forcés de fuir. De rejoindre Calais par exemple, où Gurshad Shaheman a commencé ses recherches pour Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète. Ou d’aller jusqu’à Beyrouth ou Athènes, où il a mené de longs entretiens avec des artistes et des membres de la communauté LGBT. Avant d’être des exilés géographiques, les personnages dont ce spectacle transmet les récits sont donc des exilés de l’intérieur. Des empêchés d’aimer, et même de se déplacer à leur guise.

Dans ce singulier oratorio, les paroles des quelques témoins finalement retenus, réécrites par le metteur en scène, sont portées par d’autres : quatorze élèves comédiens de l’Ensemble 26 de l’École régionale d’acteurs de Cannes et Marseille, qui, assis ou allongés dans la pénombre, se livrent à la partition très précise conçue par le metteur en scène. Tantôt précipitée, tantôt trouée de silences, leur parole est presque sans organes. Comme celle de Gurshad Shaheman dans Touch me, le premier volet de l’excellent triptyque autofictionnel Pourama Pourama qui l’a fait connaître, où une voix off raconte son enfance iranienne marquée par la révolution. Tandis que lui-même se tient immobile, face au public.

C’est par bribes, dans une écriture très simple, presque « au couteau », comme celle d’Annie Ernaux, que les jeunes comédiens disent des histoires d’amour et de guerre qui se concluent par l’exil. Il y a celles du comédien Nour et de Nowara, enfant star à la télé irakienne lorsqu’elle était encore un garçon. Celles de Yasmine, refusée par l’agence de mannequins Elite à Agadir quand a été découverte sa transsexualité, ou encore d’un informaticien enrôlé à la frontière turque par le PKK.

Mêlés au paysage sonore imaginé par Lucien Gaudon, ces morceaux de vie forment une singulière musique d’alerte. Chez Gurshad Shaheman, le chuchotement a l’intensité du cri. Et la distance la force de l’étreinte. Audacieux, son choix d’une forme très sobre, presque austère, tranche subtilement avec les représentations dominantes des personnes qui l’intéressent. Il confirme ainsi sa capacité à travailler au corps la question de la migration et de la sexualité. Sans oublier de penser ces grands sujets d’inquiétude de notre époque.

Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète, Gurshad Shaheman, en tournée : 10-11 novembre, Valenciennes ; 13-14 novembre, Marseille ; 16 novembre, Montpellier ; 22 novembre, Amiens…