« La Saison du diable », de Lav Diaz : Adieu Philippines ?

Dans La Saison du diable, Lav Diaz évoque dans une tragédie chantée les malheurs de son pays.

Christophe Kantcheff  • 23 juillet 2018 abonnés
« La Saison du diable », de Lav Diaz : Adieu Philippines ?
© photo : ARP Sélection

Dans un village reculé des ­Philippines, au temps du président Marcos, à la fin des années 1970, deux nervis chantent leur sale boulot. Ils chantent littéralement. Ainsi commence, non sans surprendre, La Saison du diable, le nouveau film du prolifique cinéaste philippin Lav Diaz. Une élégie en noir et blanc de près de quatre heures à la mémoire des victimes de cette dictature. Une tragédie chantée plus qu’une comédie musicale, où les personnages s’expriment a cappella.

Outre les paramilitaires au service du pouvoir, les principaux personnages sont une « folle » de village (Pinky Amador), dont on a tué les proches, un sage qui appelle à la résistance et un poète, Hugo Haniway (Piolo Pascual), qui a laissé partir la femme qu’il aime (Shaina Magdayao), médecin, dans une région dangereuse tenue par les milices, où elle risque sa vie pour aider les populations démunies.

La Saison du diable est un film d’une grande rigueur, où le réalisme des exactions, qui fait écho à ce qui se passe actuellement sous la présidence de Rodrigo Duterte, est transcendé par une forme audacieuse qui ne favorise pas le spectacle mais crée une atmosphère lancinante. Les chants, des victimes comme des bourreaux, ont des tournures souvent répétitives. Les acteurs ne sont pas chanteurs professionnels, ce qui ajoute à l’étrangeté, sauf une femme aux mélopées déchirantes qu’on croirait sortie d’un chœur antique.

Malgré certains clichés auteuristes – des plans très longs, un esthétisme de la lumière – et une mièvre conception de la poésie littéraire – ce qui sort de la plume d’Hugo Haniway est de piètre qualité –, Lav Diaz installe son spectateur dans une sorte d’hypnose consentante. Difficile, dans la durée, de rester insensible à la beauté âpre et stylisée que déploie ce film politique hors normes.

La Saison du diable, Lav Diaz, 3 h 54.

Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes