La ZAD, suite !

Apaisement trompeur dans le bocage après la validation de quinze projets agricoles, car tout risque d’être balayé en octobre. Une grande mobilisation s’organise pour fin septembre.

Patrick Piro  • 25 juillet 2018 abonné·es
La ZAD, suite !
photo : Au Rosier, la moissonneuse-batteuse de Vincent récolte le fourrage pour les bêtes de la ZAD.
© Patrick Piro

Journée torride à Notre-Dame-des-Landes. Sur la ZAD, on met les bouchées doubles pour tenter de rattraper le temps perdu au printemps, quand les affrontements ont suspendu les travaux des champs. Au Rosier s’active une petite moissonneuse-batteuse. Pois fourrager, triticale, féverole, avoine : un bon mélange céréales-légumineuses pour les bêtes de la ZAD, vaches, brebis, volailles. « Cinq tonnes, c’est moyen. Mais on se moque des records », commente Vincent.

L’activité a décroché une convention d’occupation précaire (COP) : elle fait partie des quinze projets agricoles jugés recevables par la préfecture de la Loire-Atlantique sur les quarante dossiers déposés fin avril. Les parcelles du Rosier ne font l’objet d’aucun conflit d’usage. Et les gendarmes ont déserté les lieux, tout juste passent-ils quotidiennement vérifier que la fameuse « route des chicanes », qui traverse la ZAD, a cessé de subir des dégradations. Il ne reste plus de traces, ou presque, des impressionnantes barricades érigées lors des affrontements d’avril et de mai derniers. Les dégâts semblent avoir été digérés par le bocage, rendu à sa quiétude naturelle. On a même retrouvé les gens des « 100 Noms », dispersés en avril après la destruction de leur site, qui avait scandalisé la France militante. Le groupe, une demi-douzaine de personnes, s’est reconstitué et se remet lentement, squattant pour le moment au Limimbout une maison expropriée de la ZAD.

« Voilà le tableau apaisé qui transparaît, donnant à l’extérieur le sentiment que tout est réglé. Mais c’est une illusion ! », alerte Mika, meunier et boulanger à Saint-Jean-du-Tertre, pôle de vie proche du Rosier. « En fait, on est comme des cons, lâche Vincent. Car nos COP ne courent que jusqu’à fin décembre. Dès octobre, les cartes seront rebattues. »

Ces « cumulards__ qui veulent le beurre et l’argent du beurre »

À cette date se réunira le comité de pilotage mis en place par la préfecture pour régler définitivement le sort de la ZAD. Et les autorités restent inflexibles : les terres doivent retourner à l’agriculture. Le devenir des activités ­culturelles (bibliothèque, centre d’accueil, etc.) est donc plus qu’incertain. Quid des projets agricoles recalés au printemps ? Et ceux qui bénéficient d’une COP ne sont guère plus rassurés : ils redoutent d’être concurrencés par des agriculteurs conventionnels, selon des critères classiques qui leur sont défavorables – ratios économiques, parcours professionnel, capacité d’investissement, etc.

Pour Mika et Willem, à Saint-Jean-du-Tertre, la situation s’est même fortement tendue depuis l’obtention de leur COP. Trente vaches laitières, une boulange qui ronronne, « on se voyait bons élèves… » Oui mais voilà, l’ancien fermier est de retour, dix ans après. Un de ces « cumulards », comme dénommés sur place, « qui veulent le beurre et l’argent du beurre » : après avoir perçu une indemnité quand le propriétaire des terres a été exproprié en prévision de l’aéroport, ils ont obtenu en compensation des baux agricoles sur d’autres parcelles. Et sont aujourd’hui légalement prioritaires pour revenir travailler sur leurs anciennes terres. « Grâce à notre lutte, ils tireraient les marrons du feu sans avoir levé le petit doigt ! » s’échauffe Mika. D’autant plus que la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), chargée de gérer le conflit, s’est contentée de leur suggérer de « ne pas être trop gourmands » et d’abandonner au fermier la moitié des 30 hectares que pâturent les vaches de Willem. « Autant nous saborder ! Il nous en faudrait 30 de plus, pour les céréales notamment, afin d’atteindre le seuil de rentabilité demandé… par la DDTM. Alors que le fermier, en face, exploite aujourd’hui 300 hectares. On demande que soit rendu public le taux d’agrandissement des exploitants compensés à la suite des expropriations. En vain jusqu’à présent. »

La position du propriétaire des terres sera décisive. À Saint-Jean-du-Tertre, l’ancien détenteur, indemnisé en son temps, ne les réclame pas. La parcelle conflictuelle est donc toujours aux mains de l’État. Tout comme environ 900 hectares de la ZAD qu’il réservait pour le défunt aéroport, acquis pour 5 millions d’euros en seconde main auprès du conseil départemental, alors maître d’œuvre des expropriations. Le département en demande désormais la rétrocession. Arguant du « préjudice » causé par la ZAD, il a royalement proposé le rachat pour 1 euro symbolique. Refus poli de l’État. Mais la transaction devrait cependant avoir lieu avant octobre, selon toute probabilité, afin que les conventions d’occupation définitives soient signées avec le nouveau propriétaire.

Pas une minute de répit depuis la fin de la guérilla du printemps

Or, si l’État a su faire preuve d’une certaine compréhension lors de la signature des COP, les habitants de la ZAD redoutent que le département ne leur fasse pas de cadeaux. Signal négatif, il a déjà signé pour l’attribution de ces terres une « lettre d’intention » avec la chambre d’agriculture, contrôlée par la FDSEA, le syndicat agricole majoritaire, dominé par de gros exploitants, qui convoite la ZAD pour de très conventionnelles ambitions, en particulier l’agrandissement d’exploitations existantes. « Nous allons donc repartir en lutte… », soupire le boulanger, qui sort une fournée de pains briochés de la « Mikabane », son nouveau fournil fraîchement achevé.

Hameau du Limimbout. C’est le coup de feu aux « Q de plomb », haut lieu de la ZAD tenu par Claude. Le Copain 44, très solidaire collectif de soutien aux paysans locaux en résistance et aux initiatives agricoles de la ZAD, s’y réunit tous les vendredis pour un déjeuner, et d’autant plus festif ce 13 juillet qu’il s’agit du repas de mariage d’un collègue. On y retrouve Jojo, l’une des têtes pensantes des habitants de la ZAD, qui s’apprête à filer à Nantes pour une réunion importante. Pas une minute de répit depuis la fin de la guérilla du printemps. « Car les hostilités n’ont fait que changer de nom. Nous nous sommes instaurés en comité d’autodéfense “administrative”. Car il faut nous mobiliser sur le terrain, mais aussi face aux assauts du judiciaire et des organismes normalisateurs qui veulent nous éliminer. »

Un fonds de dotation a été créé par les habitants de la ZAD, des paysans et des sympathisants. Fonctionnant comme une caisse commune, abondé par toute personne désireuse de soutenir les expériences agricoles locales, cet outil juridique permettrait d’acquérir collectivement des terres, sous la supervision d’un comité consultatif composé de personnalités. « Un acheteur alternatif au département pour défendre des usages alternatifs : nous voulons contrer l’agrandissement des exploitations, faciliter l’installation des jeunes, appuyer les expérimentations locales, dans un esprit solidaire et écologique, de manière à ce que tous les projets actuels puissent rester, et sur des surfaces correspondant à leurs besoins. Nous nous pensons comme une coopérative en devenir, viabilisée par un usage collectif des terres et des bâtiments, bien plus ambitieux qu’une Amap ou une exploitation bio. »

Il s’agit aussi de défendre l’habitat très original qui a fleuri sur la ZAD – s’il n’a pas été détruit lors des expulsions. Après l’abandon de l’aéroport, un nouveau zonage devra déterminer les usages légaux des terres. « Nous voulons que soient autorisés des microprojets agricoles et la construction de cabanes dispersées, dont les naturalistes nous affirment qu’elles ont moins d’impact qu’un lotissement. Et puis l’exploitation morcelée n’empêche pas de penser la préservation globale et écolo du bocage. Ce n’est pas la préoccupation de la chambre d’agriculture : on sait que certains “cumulards” passent les haies au glyphosate ! »

L’ambition est grande, et le temps presse, d’autant plus que le mouvement qui a lutté contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est en pleine recomposition après la disparition de son objet. Les militants, que drainait par milliers le traditionnel festival des « anti », début juillet, n’étaient que quelques centaines à suivre les rencontres studieuses et pratiques de la semaine « ZadEnvie », qui a pris le relais. En désaccord avec la stratégie de la ZAD face à la préfecture, le Cédpa (les élus) s’est reporté dès avril sur les enjeux collectifs de la modernisation de l’aéroport Nantes-Atlantique.

L’Acipa, vaste coupole citoyenne, s’est dissoute. Cependant, quelques-uns de ses anciens préparent pour septembre une relance, axée sur le soutien aux projets de la ZAD. Le Copain 44 et les Naturalistes en lutte sont restés dans le navire, et de nouveaux groupes se manifestent, tel « Défendre-habiter », qui agrège notamment des architectes séduits par l’originalité des cabanes de la ZAD. Objectif : une grande mobilisation sur place les 29 et 30 septembre, pour peser sur les autorités à la veille du crucial comité de pilotage d’octobre. « C’est déjà une nouvelle heure de vérité pour nous… Mais, après avoir été “contre”, c’est une bien plus passionnante bataille “pour”, positive Jojo. Il s’agit ni plus ni moins que de créer ici un “commun” agricole unique en France ! »

Écologie
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