L’affaire Benalla introduit une nouvelle forme de violence politique

TRIBUNE. Vincent Brengarth, avocat au barreau de Paris, dénonce dans cette tribune une logique d’État qui privatise l’usage de la violence à son profit.

Vincent Brengarth  • 23 juillet 2018
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L’affaire Benalla introduit une nouvelle forme de violence politique
© photo : LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

La violence politique, qu’elle soit employée comme mode d’expression contestataire, ou en tant que conséquence de mouvements socio-syndicaux, n’est pas nouvelle. Elle pourrait tenir sa justification par une volonté de rééquilibrage étatique du rapport de force asymétrique entre le pouvoir institutionnel et, le plus souvent, des populations précarisées.

Le mouvement collectif revendicatif peut rarement échapper à certaines formes de violence, précisément parce qu’il cherche à s’affranchir d’une politique normée et qu’il se présente comme un ultime recours face à l’échec de modes d’expression plus conventionnels. Dans cette hypothèse, l’acte de transgression à la norme pénale, caractérisé par une atteinte aux personnes ou aux biens, est ainsi animé par une volonté de changement qui lui donne nécessairement un contexte.

En ce sens, avait été déposée en 2012 au Sénat une proposition de loi portant amnistie des faits commis à l’occasion de mouvements sociaux, d’activités syndicales et revendicatives, pour les faits commis entre le 1er janvier 2007 et le 1er février 2013.

Augmentation du nombre de plaintes pour violences policières

Bien sûr, l’usage de la violence n’en gagne pas pour autant sa légitimité, puisqu’il reste transgressif. Plus encore, il présente parfois le risque de discréditer un mouvement protestataire dans son entier, que l’on cherchera à résumer par ce qui n’est en définitive que son corolaire. En mai 2018, suite aux rassemblements qui s’étaient tenus en France, Gérard Collomb avait ainsi eu cette phrase énigmatique sous forme de menace indirecte : « si on veut garder le droit de manifester », « il faut que les participants puissent s’opposer aux casseurs et ne pas, par leur passivité, être d’un certain point de vue complices de ce qu’il se passe ». Ces propos illustrent le risque de voir un mouvement social pris en otage de la violence qui pourrait involontairement l’affecter.

L’affaire Benalla révèle que le droit de manifester n’est pas simplement menacé par des causes intestines aux mouvements sociaux, mais aussi par une logique d’État qui privatise l’usage de la violence à son profit.

Il est un fait que le ministre de l’Intérieur a pour mission de garantir la sécurité des personnes et des biens, et qu’il se réfugie régulièrement derrière ses prérogatives à des fins politiques. En théorie, et selon l’expression de Max Weber, l’État détient le monopole de la violence légitime. Il existe une présomption selon laquelle la violence qu’il pourrait employer n’aurait pas d’autre but que de protéger l’ordre public.

En 2017 déjà, le rapport de l’IGPN faisait état d’une augmentation du nombre de plaintes pour violences policières, notamment à l’occasion des affrontements intervenus pendant la loi Travail, mais aussi au prétexte de la lutte contre le terrorisme. La violence était ainsi davantage utilisée, de manière dévoyée, au service d’une politique que pour prévenir un risque de désordre.

Quand l’ordre public se confond avec l’ordre politique

De ce point de vue, l’État a franchi une nouvelle étape avec l’« affaire Benalla ». Les investigations judiciaires permettront de déterminer et de comprendre les responsabilités de chacun. Il apparaît cependant à ce stade qu’un individu, n’appartenant pas aux forces de l’ordre mais qui en usait les attributs, est intervenu lors des manifestations du 1er mai. Il ne bénéficie dès lors pas de la présomption de fait inhérente aux fonctionnaires dont la mission exclusive est d’assurer la sécurité, même s’il a cherché à avoir l’apparence de ces derniers.

Son intervention est aggravée par l’usage de la violence à l’encontre de manifestants qui avaient manifestement déjà été isolés par les CRS présents, et sans que la situation ne le justifie par une quelconque dangerosité.

S’il existait une violence de l’État par le recours à une force publique spéciale et secrète, il s’agit d’une nouvelle forme de violence privée, extra-policière, qui ne peut qu’interroger quant à ses intentions.

Au-delà de l’impunité avec laquelle les coups semblent être portés, ces derniers ne semblent pas justifiés par un péril imminent mais plus par un ressentiment et un certain zèle déplacé ; l’ordre public se confondant avec l’ordre politique.

Approche teintée de cynisme

Il y a quelques mois, dans les Hautes-Alpes étaient mis en cause des mouvements identitaires susceptibles de créer une confusion avec l’exercice d’une fonction publique, ou d’une activité réservée aux officiers publics ou ministériels. Or, si ces mouvements jouissaient d’une certaine bienveillance de la part des autorités, ils en étaient totalement extérieurs. Leurs agissements ne pouvaient donc être reprochés que de manière indirecte à l’État.

L’usurpation à laquelle se serait prêtée Benalla, ex-collaborateur d’Emmanuel Macron, s’en distingue, puisque sa présence sur le lieu des faits est, selon toute vraisemblance, l’application d’une directive qui lui a été donné – ce dont témoigne la faiblesse de la sanction administrative prise à son encontre –, semblant avoir été dictée par le pouvoir exécutif. Il s’agit d’une normalisation de la violence politique de la part de l’État, qui se légitime par une disqualification des manifestants à pouvoir prétendre au rôle de victime et que l’on cherchera probablement à criminaliser.

Cette violence ne peut, par nature, être légitime mais, plus encore, la confusion dont elle profite fragilise tout l’édifice. La « real new » dépasse en intensité la « fake new », mais toutes les deux ébranlent la confiance envers le système étatique, puisqu’elles ne fournissent aucun repère apte à justifier l’injustifiable, et ce à juste titre tant les valeurs humaines les plus primaires se trouvent ébranlées.

En conclusion, il serait inexact de restreindre le périmètre des responsabilités à celles de Benalla, que l’on pourrait au contraire, et de manière légèrement provocatrice, remercier. Remercier parce qu’il impose à l’État de revoir son approche teintée de cynisme et de sentiment d’impunité.

L’affaire révèle les failles d’un pouvoir institutionnel qui condamne la violence lorsqu’elle ne lui profite pas mais la tolère, voire la promeut, lorsqu’elle lui apporte l’obéissance servile de ses sujets. Pour paraphraser Gérard Collomb, si l’État n’est pas intervenu, il est par, sa passivité, d’un certain point de vue complice de ce qui se passe.

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