Le bois-énergie, faux ami écolo
Au départ issus des déchets de scieries, les granulés de bois sont désormais produits pour l’industrie… et détruisent des forêts.
dans l’hebdo N° 1513-1515 Acheter ce numéro
Une pluie de petits cylindres marron 100 % bois naturel engloutis dans le poêle et la chaleur jaillit dans le salon. Se chauffer grâce aux granulés de bois, aussi nommés pellets, a rapidement séduit les particuliers. Selon l’association Propellet, qui regroupe les principaux fabricants et distributeurs de granulés, plus de 800 000 foyers français se chauffaient aux granulés de bois en 2017, soit une hausse de 16 % par rapport à l’année précédente. Une source d’énergie vendue comme très efficace, économique, locale et durable. Des arguments également accolés à toute la filière bois-énergie qui sert au chauffage individuel, collectif ou à la production d’électricité, comme à Gardanne, près de Marseille (lire aussi ici). Mais de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer ce faux ami des énergies renouvelables.
« Le bois-énergie est à la production de bois ce que les épluchures sont aux patates. Si on peut les valoriser, c’est bien, mais on ne produit pas des patates pour leurs épluchures ! » résume Hervé Le Bouler, responsable des questions forestières à l’association France nature environnement (FNE).
La dérive principale concerne la provenance du bois transformé. À l’origine, il s’agissait uniquement des déchets des scieries, des restes des arbres. Mais la diminution du nombre de scieries et l’augmentation de la demande ont obligé la filière bois-énergie à revoir sa méthode de fabrication, en passant à l’étape de l’industrialisation. Des projets d’usines de pellets émergent progressivement en France, notamment sur le plateau de Millevaches, en Limousin.
L’usine CIBV, pour Carbon Ingen’R Bugeat Viam, cherche à s’implanter dans les communes de Bugeat et de Viam, en Corrèze. Son objectif : produire 45 000 tonnes de pellets torréfiés par an pour remplacer le charbon des centrales thermiques de la Compagnie parisienne de chauffage, qui alimente notamment Saint-Ouen. Le système de torréfaction utiliserait une diversité de biomasse gisant sur les sols des forêts alentour : les souches, les branches, les morceaux d’arbres restant après les coupes rases par les forestiers… Or, « les souches et branchages ne sont pas des ressources à “valoriser”, rappellent régulièrement les opposants au projet, réunis dans l’association Non à la montagne pellets. Ce sont des matières indispensables à l’entretien de la richesse biologique des sols, qui sont déjà lourdement sollicités par le modèle d’exploitation par coupes rases en cycles courts. Ces matières doivent être laissées sur place, ce ne sont pas des “ressources” délaissées ». Pire, des arbres entiers sont parfois transformés en granulés. À quand l’éclosion de forêts destinées à être immédiatement brûlées ?
À Anor, près de la frontière franco-belge, la société Jeferco tente d’installer une des plus grandes usines de pellets d’Europe, dont les 120 000 tonnes produites chaque année seraient « essentiellement destinées aux industriels européens ». Selon l’association Anor environnement, ce bois servira à alimenter les centrales électriques belges, danoises ou allemandes effectuant leur conversion du charbon vers la biomasse. Rien à voir avec le chauffage local. Un marché européen se dessine depuis quelques années, sous couvert de lutte contre le réchauffement climatique.
En juin dernier, la directive européenne sur les énergies renouvelables a été révisée : le Parlement et le Conseil européens se sont accordés pour proposer un plancher de 32 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’ici à 2030. Quinze scientifiques renommés, dont certains membres du Giec, avaient publié une tribune en décembre 2017 pour alerter les ministres européens de l’Énergie sur les dangers de la production d’énergie à partir de la biomasse forestière. « Nous estimons que l’utilisation de bois délibérément récolté pour produire de l’énergie, au lieu de combustibles fossiles, libérera, par kilowatt/heure, au moins deux fois plus de CO2 dans l’air d’ici à 2050 », écrivaient-ils. Lors du premier débat, les gouvernements sont restés assez timorés sur la question. Or, accentuer la pression sur les forêts européennes, qui représentent 40 % du continent, mettrait en péril le stockage de CO2 et l’ambition de lutter contre le dérèglement climatique.