Mais qui veut du revenu de base ?

Les présidents PS de treize départements souhaitent expérimenter une fusion de plusieurs aides. L’occasion de relancer le débat sur la pauvreté et de remettre la question à l’agenda politique.

Agathe Mercante  • 18 juillet 2018 abonné·es
Mais qui veut du revenu de base ?
© photo : GARO/Phanie/AFP

Ils seront donc treize autour de la table. Un quatorzième pourrait bien les rejoindre, mais cela suffira-t-il à rassurer les superstitieux ? Issus des rangs du Parti socialiste, sur lequel semblent planer bien des malédictions, les présidents de treize départements français (1) ont adressé à Édouard Philippe une demande d’expérimentation d’un revenu de base sur leurs territoires. L’idée, qui fut portée par plusieurs candidats de la gauche – dont Benoît Hamon ou, plus surprenant, Manuel Valls dans une version a minima –, continue d’interroger politiques, économistes et philosophes… sans remporter pour autant de grands succès électoraux.

« Nous souhaiterions fusionner le RSA, la prime d’activité et peut-être les allocations logement », détaille André Viola, président du conseil départemental de l’Aude. « Ce n’est ni un revenu de base ni un revenu universel, constate alors Nicole Teke, coordinatrice internationale du Mouvement français pour un revenu de base (MFRB). Ce que veulent les départements se rapproche plus d’un revenu minimum simplifié. » Exit l’universalité, ici : pas question de verser un revenu à tous les habitants des départements. Il s’agit avant tout d’étendre l’accès aux aides sociales aux jeunes de moins de 25 ans, mais aussi de permettre à tous les ayants droit au RSA de le toucher. Un projet d’ores et déjà ambitieux au regard de la situation en France : selon le Comité national d’évaluation du RSA, 36 % de ceux qui y avaient droit en 2017 ne l’ont pas réclamé.

Alors que Bercy s’interroge sur l’application du programme d’Emmanuel Macron et donc sur la mise en place d’un « versement social unique » regroupant toutes les allocations sociales, la demande des élus socialistes pourrait être perçue comme redondante, voire inutile. « Nous sommes farouchement opposés à l’allocation unique, défend Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de Gironde et l’initiateur de l’expérimentation. Nous ne sommes pas là pour donner un “solde de tout compte social”. »

« À la différence du gouvernement, notre objectif n’est pas de faire des économies », renchérit André Viola, qui rappelle qu’élargir les conditions d’octroi du RSA aux jeunes et aux actifs n’est pas dans les plans de l’exécutif. Selon Le Canard enchaîné, c’est même plutôt l’inverse : une note interne à Bercy afficherait un objectif de réduction de 7 milliards d’euros des dépenses sociales. Selon les résultats des simulations économiques et du questionnaire citoyen menés par les conseils départementaux, et présentés le 6 juin dernier à Bordeaux, l’expérimentation du revenu de base pourrait être réalisée sur un panel de 20 000 personnes durant deux à trois années. Si les critères d’obtention de ces aides sont encore soumis à conditions – faut-il donner un revenu aux jeunes dès 18 ans (à leur majorité légale) ou à 21 ans (majorité fiscale) ? –, le coût de l’expérimentation se situerait entre 2,8 et 7,5 millions d’euros par an. Un petit budget pour l’État, certes. Mais qui s’inscrit à rebours des 7 milliards d’euros d’économies souhaités. « Si nous généralisions cela à tout le territoire national, c’est 3 ou 4 milliards d’euros qu’il faudrait débourser », indique André Viola. Peine perdue. Du moins pour l’instant.

Lutte contre la pauvreté

La bataille s’engage d’ailleurs moins sur la faisabilité d’étendre à l’ensemble des Français le revenu de base que sur le plan des idées politiques. « Ces dernières années, la gauche est passée à côté de l’un de nos piliers : la lutte contre la pauvreté », poursuit André Viola. Sur ce terrain, la voie est laissée libre par le chef de l’État, qui continue de se montrer fidèle à son image de président des riches. Dans sa lente reconstruction, le PS a donc une carte à jouer. « Le gouvernement préfère faire l’autruche et repousser la présentation du plan pauvreté pour regarder le Mondial », déplore Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis. « Si la gauche a échoué aux dernières élections, c’est qu’elle a perdu la bataille sociale », estime-t-il. Alors que le nombre de Français vivant sous le seuil de pauvreté avoisine les 9 millions, les socialistes doivent s’armer de nouvelles idées et de nouveaux projets.

À l’échelle locale, c’est donc auprès de la jeunesse et des travailleurs pauvres que le combat est lancé. « La pauvreté n’est plus limitée à ceux qui vivent en marge de la société, elle touche tout le monde », rappelle Mathieu Klein, président du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle et volontaire pour l’expérimentation. Si le diagnostic est juste, le remède proposé par les treize départements divise encore. « Il va nous falloir faire un intense lobbying au sein même du Parti socialiste », prédit Stéphane Troussel.

Parti de courants et d’élus s’il en est, le PS compte en son sein autant d’opinions que de membres, contrairement aux mouvements récents comme la France insoumise ou Génération·s. À l’image du RMI, instauré en 1988, ou encore des 35 heures, les nouveaux idéaux du PS et de la gauche devront être débattus. « Le passage à la semaine de 35 heures s’est fait dans la douleur. Au PS, il a soulevé beaucoup de questions et a donné lieu à de nombreux débats, nous n’étions pas tous d’accord », rappelle Stéphane Troussel. Même s’il n’a rien d’universel, le soutien plein et entier au revenu de base souhaité par les départements demandera au parti de changer jusqu’à ses paradigmes. « Le PS s’est construit sur la valeur du travail », assène André Viola.

Faut-il voir un signe d’ouverture dans la présence d’Olivier Faure, premier secrétaire du PS, lors de la présentation des résultats de l’étude des départements ? « Si ça aide le PS à se remettre sur les rails, c’est une bonne chose », élude Jean-Luc Gleyze. Mais, alors que 63 % des Français se disent opposés à la création d’un revenu universel (2), rares sont ceux qui s’aventurent à ouvrir la boîte de Pandore.

« C’est une expérimentation limitée mais, à terme, elle laisse entrevoir la possibilité de débattre réellement de ces questions », veut croire Julien Bayou, porte-parole d’Europe Écologie-Les Verts. « Durant des années, les Verts ont porté cette idée dans le désert, c’est en train de changer », se félicite-t-il. Mais l’heure n’est pas au combat pour instaurer un revenu universel. « Tout le travail se jouera justement sur l’importante distinction entre revenu de base et revenu universel », confirme Olivier Faure. Pourtant, assure-t-il, le sujet sera abordé et présenté aux adhérents dans le cadre de la refonte du PS dès la rentrée.

Trouver des appuis

Pragmatisme et prudence sont de mise chez les élus des départements, qui se défendent aussi de vouloir, par cette initiative, redorer le blason du PS. « C’est une initiative locale », martèle Jean-Luc Gleyze. Pour les treize, c’est aussi l’occasion de rappeler au gouvernement l’important rôle des collectivités, au lendemain du boycott de la conférence des territoires par l’Association des maires de France et l’Association des départements de France et Régions de France. Non-cumul des mandats oblige, les élus locaux auront besoin de l’appui des députés pour porter leur demande d’expérimentation. Et, s’ils disposent de celui des membres du groupe Nouvelle Gauche de l’Assemblée nationale, ainsi que du groupe socialiste au Sénat, la partie est loin d’être gagnée. À commencer par la temporalité de l’action parlementaire. C’est en effet seulement via une proposition de loi ou un amendement que les collectivités pourront bénéficier de l’aide de l’État. « Nous espérons qu’un amendement en ce sens sera déposé dans le cadre des lois de finances cet automne », explique Mathieu Klein, sous peine de devoir en passer par la proposition de loi. Or, les prochains créneaux parlementaires dont disposeront les groupes socialistes des deux assemblées n’arriveront qu’en 2019…

C’est du côté du gouvernement et de la majorité parlementaire que les présidents de département lorgnent, en dépit de récentes prises de position peu favorables à l’expérimentation. « Je ne pense pas que le revenu minimum de base soit la bonne réponse, je préfère avoir une société fondée sur la valeur travail », confirmait Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, en juin. Pourtant, veulent croire les élus socialistes, il existe une brèche sociale dans laquelle ils pourraient s’engouffrer. Riche de nombreux transfuges du PS, la majorité LREM pourrait bien prêter l’oreille à leurs revendications. Plaide en ce sens la proposition de loi qui organiserait la prise en charge des jeunes provenant des services de l’aide sociale à l’enfance après leur majorité, et qui est portée par la présidente de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée – et ancienne députée socialiste – Brigitte Bourguignon. « Elle n’a pas oublié qu’elle était de gauche », constate Stéphane Troussel.

L’expérimentation du revenu de base, si elle était accordée, pourrait courir jusqu’en 2021, voire 2022. Le temps, pour les élus PS des territoires, de préparer un retour d’expérience d’ici à la présidentielle. Un objectif primordial car, tous l’affirment, les questions sur le revenu de base et la crise du travail seront au cœur de la campagne. Un pari qui suppose aussi que le revenu de base ne soit pas rejeté par les électeurs.

(1) Ardèche, Ariège, Aude, Dordogne, Gers, Haute-Garonne, Gironde, Ille-et-Vilaine, Landes, Lot-et-Garonne, Meurthe-et-Moselle, Nièvre et Seine-Saint-Denis – et prochainement l’Hérault.

(2) Enquête réalisée par OpinionWay pour Public Sénat, Les Échos et Radio Classique, parue le 28 janvier 2018.

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