Salut vieille branche !
Planté en 1759, le platane du parc Ronsard, à Vendôme, se veut l’un des fleurons de la ville. Itinéraire d’un arbre choyé, entre légendes et réalités.
dans l’hebdo N° 1513-1515 Acheter ce numéro
Q uand on dit aux visiteurs que cet arbre a près de 260 ans, ils poussent un “ah” d’étonnement, un peu interloqués, confie Jean-Claude Pasquier, guide-conférencier et historien. Quand on leur précise que ce platane a été planté sous Louis XV, huitième duc de Vendôme, ils s’exclament de concert : “Ah, oui, tout de même ! Ça remet loin !” » Ça pose et impose aussi : le platane fameux que l’on vient regarder, admirer, mesure plus de 5 mètres de circonférence et culmine à près de 30 mètres de hauteur, bien calé dans les eaux, surplombant fièrement la vieille ville de Vendôme (Loir-et-Cher), déployant majestueusement ses branches. Une plaque indique « arbre planté en 1759 ».
Depuis la rue du Change, au niveau du n° 23, on accède au parc par une passerelle. Sur deux hectares environ, se distinguent des tilleuls, des ifs, un cèdre, tandis qu’un vieux lavoir rappelle que la rivière est partout et combien les battoirs des lavandières animaient l’arrière des maisons. Soit un espace vert bucolique, qui se veut à la fois lieu de vie, de souvenirs, de jeux et de repos. On y prend le frais en période caniculaire, on dispute une partie de boules, on se pose dans l’herbe pour lire ou discuter le bout de gras, on traverse l’espace pour filer à la bibliothèque municipale du coin. Ou, tout simplement, on prend son temps.
Au mitan du XVIIIe siècle, quand l’arbre est planté, le parc ressemble à une petite île, cerné par les bras du Loir, qui circule paisiblement dans toute la ville, découpant les quartiers. Ça a débuté comme ça : Thomas, jardinier des oratoriens, propriétaires des lieux, plante un platane au coin de l’îlot. On ne saura rien de plus sur ce Thomas. Pas de tombe, foin de plaque et d’épitaphe. « La première source authentique sur cette plantation date de 1841, rappelle Jean-Claude Pasquier, avec un article du journal local d’alors, Le Loir, imprimé par un certain Lemercier, premier canard à la portée des Vendômois au-delà des simples feuilles de papier diffusées sous la Révolution française. Le Loir deviendra par la suite Le Carillon, bénéficiant de plus d’audience encore. »
Agrémenté d’un petit bassin en son cœur, le parc a été successivement le jardin de l’Hôtel-Dieu, celui du collège des Oratoriens, puis celui du lycée après la Révolution de 1848. Traversant le jardin, le chemin longeant le lycée et le bras du Loir, sur plus de 80 mètres, a été durant plusieurs décennies « la seule ligne de course de vitesse, s’amuse encore Jean-Claude Pasquier. En dehors de ces échappées belles, le jardin restait le potager personnel du proviseur en place. En dehors de lui, personne n’y mettait les pieds, personne n’osait s’y aventurer, ça restait une propriété privée ». D’un chef d’établissement à l’autre, on s’y rend pour lézarder, piocher sans biner dans les herbes aromatiques. Des générations de jardiniers vont s’employer à bichonner l’espace, à l’ombre du platane grandissant.
Prince des poètes
Au XIXe siècle, le lycée est baptisé « le bahut Balzac », parce que le père de la Comédie humaine y a fait une partie de ses études, six ans durant, et gambadé dans le parc. En juillet 1930, les mêmes bâtiments prennent le nom de Ronsard. Non sans hasard. Parce que le poète, qui jouit déjà de son buste, d’une rue et d’un cinéma à son nom, a une histoire avec la cité. Né au château de la Possonnière, un manoir à Couture-sur-Loir, à une quarantaine de kilomètres de Vendôme (le « Bas-Vendômois », disent les locaux), « prince des poètes et poète des princes », chantre du temps qui passe, membre de la Pléiade, auteur de sonnets garnissant les pages du Lagarde et Michard et de diverses odes (« Mignonne allons voir si la rose… », lassant, minant collégiens, lycéens et étudiants en lettres, c’est lui), Pierre de Ronsard (1524-1585) aurait vécu dans les bâtiments des Oratoriens.
« Pure invention et pure légende, réplique Jean-Claude Pasquier. En réalité, Pierre de Ronsard n’a jamais habité à Vendôme, sinon dans un quelconque pied-à-terre, bien incertain », où il aurait couru la gueuse mignonne, passé du temps avec sa dulcinée, Cassandre. Quoique. Les spécialistes ne s’accordent pas toujours sur ces faits.
Premier planté
Ce n’est pas la seule légende. D’autres circulent. Selon certains riverains, à la fin du XVIIIe siècle, « les femmes qui peinaient à enfanter venaient se frotter contre l’écorce du platane ». D’autres pointent « un arbre qui a servi à nombre de pendaisons au-dessus des eaux du Loir ». D’autres encore racontent que ses hautes branches ont servi de refuge à quelques rebelles activistes. Demeure une certitude : la plantation du platane, en 1759, suit tout de suite l’introduction de cet arbre en France, apparu entre un et quatre ans auparavant, Louis XV confiant à Buffon le premier pied que l’on cultiva au jardin du Roi, au château de Versailles. D’autres sources, selon la variété du platane, situent son introduction bien plus tôt, à Touvoie, près du Mans et dans un des jardins du palais de Fontainebleau. Il n’empêche, celui-ci est le premier planté à Vendôme.
« Au XVIIIe siècle, les jardins avaient beaucoup plus d’importance qu’aujourd’hui, pointe Christophe Candat, directeur des espaces verts de la ville et jardinier expert. On comptait beaucoup de propriétés, notamment religieuses, avec leur propre jardinier botaniste, leurs sociétés d’horticulture, très présentes, très actives. Au reste, à Vendôme, les plus beaux arbres ont tous été plantés par des congrégations religieuses, au gré des voyages d’où l’on rapportait régulièrement de nouveaux spécimens. » En 1980, in fine tardivement, les lieux sont baptisés « parc Ronsard ».
Voilà pour l’histoire. Reste le quotidien actuel. Une attention et un travail d’arrache-pied. Sans lyriser sur le fenouil. « C’est une évidence, souligne Christophe Candat, mais certains ne le savent pas : ce platane est un être vivant. À ce titre-là, il porte une date de naissance, mais il aura aussi une fin. On sait qu’il ne supporte pas le compactage de sols, un terrain trop tassé, parce qu’il a besoin d’oxygène pour ses racines et d’eau pour son alimentation. Il lui faut de bonnes conditions pour vivre, or c’est un lieu extrêmement fréquenté, un lieu de passage pour les touristes, les riverains, tous les habitants. » D’où l’installation d’une barrière, suivie d’une autre plus ample, il y a quelques années, autour de lui, pour le protéger et éviter les piétinements. D’où aussi la plantation de différentes herbes folles à ses pieds.
Choyé, le platane, c’est peu dire. Ne serait-ce que parce qu’il y a « toujours un danger sous un arbre, avec un risque de chute de branches, explique Christophe Candat. Soit parce que les oiseaux y ont fait des trous, soit parce que des champignons s’y sont installés et provoquent des ruptures de branches ». C’est le cas pour ce platane, qui a perdu en 2006 l’une de ses très grosses branches, suffisamment importante pour écraser et démolir la barrière disposée autour de lui.
Soigné, toiletté
S’il est surveillé de près régulièrement et en toutes saisons par une équipe de jardiniers (ils sont une vingtaine à entretenir les parcs et jardins de la ville sous la direction de Christophe Candat), l’arbre bénéficie tous les sept ans d’un vaste check-up. Il est ausculté, analysé, par des spécialistes ; soigné, toiletté. Entretien privilégié, rigoureux, pour un « être vivant que l’on sait malade ». Harnaché d’outils désinfectés à l’alcool à brûler, on grimpe alors jusqu’à la cime, en rappel, surtout pas en grappin, dont les dents en guise de semelles sont propices à taillader l’écorce. Véritable escalade avant d’entamer le turbin soigneux.
On enlève alors le bois sec, les branches en surnombre, on essaye d’alléger les charpentières, on installe des haubans, des cordes qui permettent de soutenir les branches les plus fragiles pour éviter les ruptures brutales, on taille et on traque les risques d’infection, on vérifie la présence ou non de champignons. On évite les interventions abusives, mais trois maladies sont redoutées : l’anthracnose, un champignon qui se développe au printemps, nuisible pour les feuilles, qui tombent alors comme en automne, le tigre, un insecte qui se glisse sous l’écorce et pique les feuilles, et enfin les champignons noirs, destructeurs et nocifs.
Le platane connaîtra un jour sa fin, certes, mais il est pour l’heure bien solide, bien campé sur ses bases. La foudre, il ne connaît pas (contrairement à ses voisins). Le réchauffement climatique, il le méprise, tant qu’il a encore de l’eau et peut jouir d’un sol frais. En 1999, la tempête qui a balayé la France, et notamment Vendôme, a déraciné un cèdre du Liban du château et un tilleul argenté dans un square, tous deux également pluricentenaires, mais lui n’a pas rompu. Ni même plié. Costaud et increvable platane, refusant l’occis.