Trilogie américaine

Neuf heures de théâtre selon Julien Gosselin : un torrent très inégal.

Gilles Costaz  • 10 juillet 2018 abonné·es
Trilogie américaine
© photo : Christophe Raynaud de Lage / Hans Lucas

Dans la jeune vague du théâtre français, Julien Gosselin est un casseur de baraque qui veut au moins changer deux coutumes du métier. Un : ne plus jouer de pièces, mais transposer de la littérature. Deux : dilater le temps, pour créer un rapport long avec le spectacle et le spectateur. Dans cette double perspective, il entend parler de notre planète, telle qu’elle vit et éclate depuis les années 1970.

Pour sa nouvelle fresque, Gosselin a trouvé dans le romancier Don DeLillo (traduit par Marianne Véron) la matière et la vision dont il se sent le plus proche. Au lieu d’adapter un livre, il en adapte trois, plus quelques autres textes qu’il fait jouer pendant les moments de pause, afin qu’il n’y ait précisément pas de temps mort.

La première partie, Joueurs, se concentre sur un homme qui s’échappe peu à peu de la grisaille de la vie affairiste pour flirter à ses risques et périls avec le terrorisme. La deuxième, Mao II, suit un écrivain âgé à New York qui se trouve happé par un réseau maoïste du Moyen-Orient alors qu’il tente d’aider à la libération d’un jeune écrivain. La troisième, Les Noms, semble d’abord le tableau d’une bourgeoisie bohème ronronnant entre ses discours généreux et les problèmes sentimentaux de chacun, jusqu’à ce que l’action se transpose à Amman, où une secte mystérieuse frappe à partir des noms propres et des langues utilisées.

La fresque représente un travail colossal, réalisé dans une nervosité de tous les instants, qu’on voudrait tant aimer. Mais l’image – puisque s’entremêlent films en boîte et retransmission en direct sur trois écrans d’une action jouée sur le plateau où les acteurs sont plutôt au lointain que proches de nous – abîme la fragilité du théâtre.

Les acteurs, Carine Goron, Victoria Quesnel, Adama Diop, Joseph Drouet, pour ne citer qu’eux, sont d’une présence physique stupéfiante, à l’image comme sur la scène. Pourtant, l’objet théâtral proposé, alors qu’intellectuellement il nous passionne, imite trop Godard et le cinéma américain indépendant, sans trouver le bon équilibre avec le langage dramatique.

Seule la deuxième partie, irradiée par la présence de Frédéric Leigdens et construite selon des détours subtils et clairs, est totalement réussie. Soit deux heures et demie parfaites dans un ensemble torrentiel de neuf heures qui, souvent, matraque plus qu’il ne libère ses pensées.

Joueurs, Mao II, Les Noms, La FabricA, jusqu’au 13 juillet.

Reprise à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, à Paris, du 12 novembre au 22 décembre, et en tournée d’octobre à mars.

Théâtre
Temps de lecture : 2 minutes