Un capitalisme crépusculaire

Malgré le battage autour des start-up, le rythme des créations d’entreprises n’a cessé de diminuer depuis les années 1990.

Thomas Coutrot  • 25 juillet 2018 abonnés
Un capitalisme crépusculaire
© photo : BRYAN R. SMITH / AFP

Selon les prophètes du numérique, une « disruption technologique » sans précédent serait en train de chambouler le capitalisme. Mais les études récentes les plus sérieuses donnent à voir un paysage moins flamboyant. Malgré un taux de profit élevé, les entreprises, plutôt que d’investir, distribuent des dividendes ou rachètent leurs actions pour faire monter les cours. Depuis 2000, l’investissement net ne représente plus que 10 % des profits contre 20 % au cours des années 1960 à 2000 (1). Les chercheurs – qui n’ont rien de marxiste – expliquent ce recul par deux facteurs : la concentration du capital et le court-termisme des actionnaires.

La concentration du capital décrite par Marx ne cesse de s’approfondir (2) : les parts de marché détenues par les quatre plus grandes firmes n’ont jamais été aussi élevées dans tous les secteurs de l’industrie, du commerce ou de la finance. Ces entreprises « superstars » ont à la fois des coûts faibles (grâce à la pression sur les salaires et aux économies d’échelle) et des prix élevés (grâce à leur pouvoir de monopole) : on connaît Walmart ou Apple, mais tous les secteurs sont aujourd’hui concernés par le fameux « winner takes all » (le gagnant rafle tout). Sans pression concurrentielle, elles peuvent distribuer leurs confortables profits au lieu d’investir.

Cette poussée des monopoles explique d’autres paradoxes concomitants à la « révolution numérique ». Malgré le battage autour des start-up, le rythme des créations d’entreprises n’a cessé de diminuer depuis les années 1990 (3). En dépit de l’essor indéniable des robots et de l’intelligence artificielle, la productivité du travail n’a cessé de ralentir. À rebours des idées reçues sur l’obsolescence des compétences des travailleurs, le rythme des créations et des destructions de métiers n’a jamais été aussi faible (4). Et si les métiers les plus qualifiés ont connu une forte croissance, c’est aussi le cas des métiers les moins qualifiés (5). Au-delà des euphories boursières par définition éphémères, les moteurs du capitalisme occidental semblent bien durablement grippés.

(1) Voir ici.

(2) Voir ici.

(3) Voir ici.

(4) Voir ici.

(5) « The Growth of Low-Skill Service Jobs and the Polarization of the US Labor Market », David H. Autor et David Dorn, American Economic Review, 2013.

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