Une lutte en trompe-l’œil contre l’évasion fiscale
Le gouvernement crée les conditions d’un évitement fiscal par les gros fraudeurs.
dans l’hebdo N° 1512 Acheter ce numéro
À ****la suite de scandales à répétition, les gouvernements sont obligés de proposer des mesures contre l’évasion fiscale, laquelle représente chaque année 60 à 80 milliards d’euros en France, soit l’équivalent du déficit de l’État, selon les estimations de la Cour des comptes. Ainsi, le gouvernement français vient de proposer un plan d’action contre la fraude fiscale : en réalité, un ensemble de mesures en trompe-l’œil, dont la plupart, présentées dans un plan de communication habilement ficelé, n’auront que peu d’effets.
Tout d’abord, le gouvernement s’attaque à la fraude (les opérations d’évitement illégales), mais pas à l’évasion, c’est-à-dire l’optimisation fiscale agressive. Or, les Panama Papers ont démontré que ces opérations sont pratiquées à grande échelle par les riches et les multinationales, dans la plus grande opacité, et qu’elles s’apparentent à un abus de droit répréhensible.
L’une des dispositions phares du plan d’action est la création d’une police fiscale destinée à poursuivre les fraudeurs. Mais, « en même temps », Gérald Darmanin, ministre en charge des Comptes publics, vient d’annoncer que le recours aux nouvelles technologies conduira à des coupes massives, de l’ordre de 20 000 postes, dans les effectifs de l’administration fiscale dans les prochaines années. Les services qui assurent la détection de la fraude ont déjà perdu plus de 3 000 emplois. Quand on sait que chacun de ces fonctionnaires rapporte 1,5 million d’euros à l’État par les redressements qu’il permet d’effectuer, il est clair que la lutte contre l’évasion fiscale et la défense des finances publiques ne sont pas une priorité pour le gouvernement.
L’un des obstacles principaux à la lutte contre l’évasion fiscale est le fameux verrou de Bercy, qui donne au ministre des Finances un pouvoir de décision discrétionnaire dans la poursuite pénale des délinquants fiscaux. Ce monopole de Bercy et les moyens insuffisants des services fiscaux et judiciaires limitent considérablement les poursuites judiciaires. Sur 16 000 infractions faisant encourir jusqu’à huit ans de prison constatées chaque année, seulement un millier de dossiers sont transmis à la justice. En outre, les condamnations restent faibles et concernent majoritairement des fraudes moyennes, rarement les montages complexes des multinationales ou de personnalités connues. Or, le plan d’action du gouvernement ne prévoit pas la suppression du verrou de Bercy, pourtant demandée par la majorité des élus et des associations, regroupées dans la Plateforme paradis fiscaux et judiciaires, qui lutte contre l’évasion fiscale. De surcroît, ce plan inclut une nouvelle disposition, le « plaider coupable », inspirée du modèle états-unien, qui permet aux gros fraudeurs de négocier avec les autorités une baisse de leur redressement, en échange d’une reconnaissance de leur délit.
En fin de compte, contrairement au discours officiel, les décisions de ce gouvernement créent les conditions d’un évitement fiscal par les gros fraudeurs, ce qui ne pourra qu’aggraver l’impunité et l’injustice fiscales.
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