De quoi Parcoursup est-il le nom ?
TRIBUNE. Francis Daspe identifie une série d’erreurs dans le dispositif d’orientation, à la fois anxiogène et occultant la question des conditions de l’accès démocratique à l’enseignement supérieur.
Parcoursup, le nouveau dispositif d’orientation des étudiants vers l’enseignement supérieur, peut désormais être qualifié de fiasco retentissant. Cette plateforme était censée pallier les insuffisances du dispositif antérieur APB (Admission post-bac). Ces insuffisances notoires avaient été symbolisées de manière spectaculaire dans les filières sous tension par le recours au tirage au sort. En fin de compte, le remède administré a été pire que le mal qu’il était supposé soigner : les dysfonctionnements se sont considérablement aggravés.
Le naufrage de Parcoursup ne relève pas de contraintes purement ou fortuitement techniques. Les raisons en sont plus profondes. L’examen de la nature du dispositif révèle une forte dimension idéologique, et ceci en contradiction flagrante avec les tentatives du ministre Jean-Michel Blanquer (et de son alter ego pour l’enseignement supérieur Frédérique Vidal) d’affirmer n’être guidé que par la prétendue boussole du bon sens. Les mesures cumulent erreurs et autres malfaçons.
Pratiques cyniquement bureaucratiques
Parcoursup incarne d’abord une conception froidement technocratique de l’orientation. Les choix d’orientation ne relèvent d’aucune manière qui soit d’une simple démarche administrative. C’est pourtant ce qui s’est très souvent passé, avec des vœux à effectuer coûte que coûte et qui n’étaient pas classés par ordre de priorité. Peu importe les projets des futurs étudiants, pourvu que chaque case finisse par être occupée !
Il promeut également des pratiques cyniquement bureaucratiques. Il s’agit d’un dispositif fondamentalement anxiogène à toutes les étapes. Anxiogène pour les élèves de terminale qui n’ont pas passé les épreuves du baccalauréat dans de bonnes dispositions d’esprit ; anxiogène pour les nouveaux bacheliers dont beaucoup restent plongés dans l’angoisse à quelques jours de la rentrée universitaire (et à qui il a parfois été reproché d’être parti en vacances cet été…) ; anxiogène pour les familles qui restent dans l’expectative quant aux démarches et investissements pour préparer l’entrée dans l’enseignement supérieur.
Parcoursup traduit le triomphe du déni de réalité à tous les étages. Il a servi à occulter les vrais défis : celui des conditions de l’accès démocratique à l’enseignement supérieur. Il a été utilisé à dessein pour ne pas y affecter les moyens nécessaires dans une logique de poursuite de l’austérité. Il est le prétexte pour tenter de masquer les échecs de cette majorité en la matière, dans une perspective de volonté auto-réalisatrice démentie par les faits. Pour tenter de sauver un tant soit peu la face, la culture de la triche et de la dissimulation a été érigée en règle d’or : n’a-t-on pas trouvé comme ultime expédient de rayer des listes près de 50 000 étudiants pour ne pas avoir suffisamment manifesté leur désarroi cet été ? Voilà que les méthodes éprouvées de radiation des chômeurs pour lutter contre le chômage sont désormais déclinées à l’orientation des étudiants.
Renoncement à l’ambition collective qu’est l’école de la République
Plus pernicieux encore, Parcoursup introduit la primauté de la règle de la stratégie individuelle. L’orientation prend des airs de jeu, comme s’il agissait d’un immense casino. On y avance en aveugle, au fur et à mesure que tombent des réponses négatives pour les uns et que des places se libèrent en raison de réponses positives pour d’autres ailleurs. Ou alors comme à la bourse, chacun doit se tenir au courant au jour le jour du cours de ses actions personnelles… En filigrane de cette individualisation de façade en réalité totalement désincarnée, se profilent une responsabilisation et une culpabilisation, éloignées de tout critère pédagogique, des étudiants se retrouvant sans affectation. Se trouve là une rupture essentielle : c’est un renoncement à l’ambition collective qu’est l’école de la République.
En effet, Parcoursup continue à favoriser les initiés des arcanes de l’enseignement supérieur. Pour ces familles au sens du placement immédiat particulièrement aigu, les solutions et les dérogations seront encore plus accessibles. La reproduction du capital social, pour reprendre une phraséologie bourdieusienne, en sera d’autant plus aisément réalisée.
C’est aussi accroître le processus de marchandisation qui affecte la sphère éducation. Voilà en effet que des officines déguisées en bon Samaritain ont commencé à proposer contre espèces sonnantes et trébuchantes des modèles de lettres de motivation. Et plus particulièrement à celles et ceux qui ne sont pas des initiés et qui ne possèdent pas le capital social requis pour un tel exercice purement formel. Il est évident que l’offre va s’élargir avec par exemple des propositions de « coaching » afin de mieux se mouvoir dans un tel labyrinthe.
Favoriser le privé
Mais en fin de compte un des objectifs inavoués de Parcoursup n’est-il pas de favoriser le privé dans son offre de formation post-bac ? C’est ce qui se passe déjà en réalité : un nombre de familles non négligeable n’en pouvant plus de cette incertitude éprouvante a fait le choix de se rabattre sur des formations privées. Le développement du privé permet d’atténuer, de manière certes profondément inégalitaire et antirépublicaine, les ravages des politiques d’austérité appliquées à l’enseignement supérieur public.
Ces nouvelles modalités d’orientation et d’affectation dans l’enseignement supérieur s’inscrivent pleinement dans le projet de société porté par la majorité constituée autour du président de la République Emmanuel Macron. Elles ne s’en extériorisent pas. Elles contribuent à reconfigurer l’enseignement supérieur dans une logique accentuée de marché. Les sept erreurs et malfaçons que nous venons d’identifier n’en sont pas en réalité : elles doivent être plutôt qualifiées d’outils pour parvenir en pleine conscience à une fin de plus en plus assumée. C’est une casse du service public d’éducation qui est visée, quand bien même elle serait présentée comme une simple refonte radicale au nom même de l’intérêt général. Parcoursup est le nom de cette entreprise brutale, comme le sera très bientôt CAP 22 (Comité action publique) dont le contenu du rapport a été dévoilé incidemment. Après tout, l’éducation, elle aussi, ne coûte-t-elle pas « un pognon de dingue » ?
Francis Daspe est président de la commission nationale Éducation du Parti de gauche et secrétaire général de l’Agaureps-Prométhée. Il est co-auteur du livre Manifeste pour l’École de la VIe République (éditions du Croquant, 2016).
Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
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