Finis ton assiette en plastique !

Au fil des ans, de la cuisine jusqu’à l’assiette, le plastique s’est imposé dans les cantines. Alors que les risques liés aux perturbateurs endocriniens sont mieux connus, des citoyens se mobilisent.

Vanina Delmas  • 29 août 2018 abonné·es
Finis ton assiette en plastique !
photo : Dans cette cantine municipale de Bordeaux, des parents se sont battus contre le tout-plastique. La mairie s’est engagée à le supprimer pour la rentrée.
© GEORGES GOBET/AFP

Enfant, on aime généralement jouer au chef étoilé en faisant mijoter du poulet en plastique dans un plat de même matière. L’imagination rejoint parfois la réalité puisque certains enfants retrouvent ce type de vaisselle chaque midi sur les tables de la cantine. Les couleurs souvent vives des gobelets égayent les salles ternes ; la légèreté des assiettes facilite le travail des agents et évite les troubles musculo­squelettiques (TMS) ; parfois les récipients ne sont pas lavés mais directement jetés à la poubelle. Et le brouhaha légendaire des cantines est atténué. Le plastique est tellement omniprésent dans la vie quotidienne qu’il est devenu invisible. Tellement pratique qu’il semblait inoffensif.

À Bordeaux (Gironde), des parents se sont indignés du tout-plastique dans les cantines et la mairie a dû revoir sa copie. « J’ai vécu plusieurs années à Rome, une ville où il y a encore des cuisines dans les écoles, des cantinières, de la vaisselle normale et un repas végétarien par semaine, raconte Magali Della Sudda, du collectif local Cantine sans plastique. Quand je suis arrivée à Bordeaux en 2011, j’ai été surprise de voir des gobelets en plastique sur toutes les tables. Puis, l’année dernière, ma fille m’a appris que les assiettes aussi l’étaient désormais. » Cette mère, chercheuse au CNRS, savait que le plastique favorise la migration de molécules de synthèse – des perturbateurs endocriniens –, ingérées par les enfants. Or, parmi les familles bordelaises engagées dans cette lutte, plusieurs enfants ont développé des pathologies liées aux perturbateurs endocriniens.

Selon le professeur américain George Bittner, les résines Tritan présentes dans ce type d’assiette ont bien un effet œstrogénique sur le système hormonal des enfants. Plus de 95 % des 17 000 petits Bordelais scolarisés mangent à la cantine. « Même si les analyses effectuées se sont révélées bonnes, nous avons retiré la vaisselle en copolyester que nous avions mise dans 104 restaurants scolaires de la ville, en nous fondant sur le principe de précaution. Toutes les assiettes en plastique seront remplacées par de la vaisselle en verre trempé dès septembre », assure Emmanuelle Cuny, adjointe chargée de l’éducation. Une décision qui avait déclenché une grève des agents municipaux, les syndicats dénonçant la dégradation des conditions de travail à cause du poids de la vaisselle et du bruit…

Le problème, toutefois, va au-delà des verres et des assiettes. Magali Della Sudda reprend : « L’urgence est certes de retirer la vaisselle en plastique, mais, au fil de notre enquête, nous avons découvert l’utilisation de barquettes plastique pour réchauffer les repas, et même la cuisson en poche de certains aliments, parfois pendant un week-end entier ! » Les parents veillent au grain, prêts à lancer une action en justice si leurs enfants mangent encore dans du plastique en septembre.

Barquette fondue

Ainsi, trois sujets de préoccupation émergent : la vaisselle, le conditionnement et la cuisson en poche. Cette dernière apparaît comme l’apothéose d’une restauration collective industrielle rentable, avec comme alibi la préservation des saveurs. « On ne cuisine plus, on ouvre des poches, on passe la viande à l’eau ozonée, puis remise en poche et enfin immersion du sac plastique dans la cuve. Stockage pendant deux à trois semaines dans les poches de cuisson, puis conditionnement dans les barquettes en plastique », résume l’association Cantine sans plastique France dans le livre qu’elle vient de publier, Pas de plastique dans nos assiettes ! (1). À Nice, une nouvelle cuisine centrale, encore en construction, prévoit le retour d’une légumerie pour mitonner des produits locaux – une bonne chose –, mais aussi une unité de cuisson sous vide.

« Le plastique s’est démocratisé dans la restauration collective à la fin des années 1960, d’abord en milieu hospitalier : le conditionnement en barquettes était pratique pour atténuer les conséquences de l’éclatement des services et résoudre les problèmes liés aux différents régimes alimentaires des patients. Puis il est arrivé dans la restauration scolaire dans les années 1980, parallèlement à la généralisation de la liaison froide », raconte Christophe Hébert, président d’Agores (2) et directeur du pôle restauration d’Harfleur (Seine-Maritime). Contrairement à la liaison chaude, ce procédé consiste à préparer les plats quelque temps à l’avance, à les conserver au froid puis à les réchauffer. Et incite à utiliser des barquettes en plastique pour gagner du temps.

À Montrouge, au sud de Paris, des parents venus déjeuner à la cantine de leurs enfants n’ont toujours pas digéré la barquette plastique fondue qu’on leur a servie ce jour-là ! L’enquête a révélé que les agents réchauffaient les barquettes dans un four à 140 °C au lieu de 70 °C. Depuis, les parents bataillent pour que la mairie y renonce. Dernièrement, ils ont indiqué que le nouvel appel d’offres de Montrouge demande bien l’arrêt de l’utilisation de barquettes en plastique pour réchauffer les plats, mais n’oblige pas à passer à une solution reconnue inerte par les scientifiques comme l’inox, le verre ou la céramique (lire notre entretien avec le biologiste Jean-Baptiste Fini ici). _« Nous craignons que la ville opte pour des barquettes en cellulose, ce qui ne diminue absolument pas le risque de migration de perturbateurs endocriniens. En effet, ces barquettes contiennent aussi des adjuvants issus du pétrole », écrivent-ils dans un communiqué.

Pour le moment, les alternatives sous forme de barquettes sont rares. À Castelsarrasin (Tarn-et-Garonne), l’entreprise Cellulopack planche sur la question depuis 2013 et a mis en vente l’année dernière des contenants en ­cellulose moulée biocompatible. « Nous fabriquons ces barquettes alimentaires à base de pâte à papier vierge que nous pressons et séchons dans des moules, comme pour des gaufres, explique Olivier Mas, président de Cellulopack. Puis nous recouvrons le fond d’un bioplastique que nous avons créé et fait breveter car il est à 100 % d’origine végétale et biodégradable. » L’entreprise peut produire jusqu’à 10 millions de barquettes par an et fournit déjà quelques communes en Gironde (lire ici).

Conversion réussie

Ludivine Quintallet, à Strasbourg, a inscrit son fils à la cantine de la maternelle en 2016 en toute confiance. « Puis, un jour, une mère déléguée y a mangé et m’a raconté que tout était servi dans des barquettes en plastique, raconte la jeune femme. C’était complètement incohérent avec la politique affichée de la ville, qui promouvait l’agriculture biologique et assurait prendre en compte les questions de santé publique. » Des parents se regroupent, se documentent, se rapprochent du groupe local de l’association Zero Waste (zéro déchet) et finissent par rédiger un manifeste pour une cantine plus saine, qui se transforme en pétition. « Dans la foulée, nous avons été reçus par le maire, qui a été sensible à nos réclamations. Le conseil municipal a pris la décision de passer à l’inox dès le prochain appel d’offres », précise Ludivine Quintallet.

Les parents font désormais partie d’un groupe de travail et veillent à ce que la municipalité respecte son plan pour atteindre le 100 % inox en quatre ans. « Au bout de deux ans, nous en sommes à 50 %, donc les objectifs sont tenus », affirme Ludivine. Un engagement qui a coûté près de 9 millions d’euros, notamment pour changer les fours et les réfrigérateurs, trop petits pour accueillir les plats en inox. « Mais aucune répercussion sur le prix de la cantine, toujours compris entre 1,35 et 6,85 euros », souligne Françoise Buffet, adjointe en charge de l’éducation. « Cette problématique de santé publique ne nous était pas inconnue, car, il y a trois ans, un père chimiste de métier nous avait alertés sur les suspicions concernant les plastiques chauffés. Mais, à l’époque, personne ne savait ce qu’étaient les perturbateurs endocriniens, poursuit-elle. Quand d’autres parents nous en ont parlé, nous avons réagi, mais il fallait attendre la date du nouveau marché. Nous avons construit le cahier des charges avec les parents volontaires. »

Politique vs santé publique

« Le problème n’est pas forcément du côté des prestataires, mais plutôt lié à la taille des locaux. Dans certaines écoles, les cantines ont disparu et il n’y a pas forcément la place d’en remettre, alors le recours aux barquettes est pratique, notamment pour les grosses collectivités », détaille Ludivine Quintallet. Un véritable choix de modèle de société lié à un choix politique qui se trouve entre les mains des communes pour les écoles maternelles et primaires, des départements pour les collèges et des régions pour les lycées. Au niveau national, l’examen du projet de loi alimentation (Egalim) à l’Assemblée nationale en avril dernier a dévoilé la position du gouvernement sur la question. Le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, a émis plusieurs avis défavorables à l’amendement mettant « fin à l’utilisation de contenants alimentaires de cuisson, de réchauffage et de service en matière plastique, dans le cadre des services de restauration ­collective ». Malgré des concessions proposées par les députés en première ligne dans cette bataille, tels Loïc Prud’homme (FI) et Laurianne Rossi (LREM) – repousser l’interdiction à 2025 (au lieu de 2022), la limiter aux cantines scolaires et non à toute la restauration collective –, les députés ont rejeté cette mesure.

« Si nous ne voulons pas débattre dans quelques années du scandale sanitaire engendré par ces pratiques, comme cela a pu se produire avec le bisphénol A ou l’amiante, il faut prendre des décisions fortes dès aujourd’hui, assène Laurianne Rossi. Le ministre a tenté une solution médiane basée sur des expérimentations dans les collectivités volontaires, et on nous a rétorqué qu’aucune étude scientifique n’officialise la nocivité des substances contenues dans ces plastiques. » La députée macroniste mènera dans les prochains mois une mission d’information sur les perturbateurs endocriniens liés aux contenants alimentaires, aux cosmétiques et aux produits pharmaceutiques, tandis que le projet de loi Egalim revient en seconde lecture en septembre.

À quoi bon se décarcasser pour que les cantines proposent des repas bio ou végétariens, avec des produits frais et locaux, s’ils sont imbibés de perturbateurs endocriniens ? Où est la cohérence d’un gouvernement qui, d’un côté, prône l’instauration d’un bonus-malus dès 2019 pour généraliser le recyclage du plastique et, de l’autre, ne perçoit pas l’intérêt sanitaire et écologique d’interdire les contenants alimentaires dans cette matière ? Pour Laura Chatel, responsable du plaidoyer Zero Waste France, nous sommes proches du « basculement culturel vers le tout-­plastique, alors que nous n’en maîtrisons pas le recyclage, et encore moins dans le cas des produits ayant été en contact avec des aliments », indique-t-elle. Une dimension écologique non négligeable au vu des chiffres : 1,5 million de barquettes par an à Strasbourg, plus de 3 millions à Bordeaux en 2016.

Fort de ses trente années d’engagement pour une restauration collective de meilleure qualité, le réseau Agores veut dépassionner ce débat plus sensible qu’il n’y paraît. « Il faut travailler avec tout le monde et prendre en compte tous les aspects de la question avec le plus d’objectivité possible. C’est quasiment du cas par cas, car cela peut impliquer de revoir la taille des cuisines, de changer les matériaux, de trouver de nouvelles recettes… Et toutes les cuisines n’utilisent pas les mêmes plastiques, les mêmes pratiques de cuisson, détaille Christophe Hébert. Mais nous sommes sûrs qu’il y a des migrations de molécules et qu’aucun matériau n’est complètement neutre. » Agores envisage d’auditionner tous les protagonistes et de publier leurs conclusions et leurs pistes de progrès dans un livre blanc en 2019.

(1) Pas de plastique dans nos assiettes ! Des perturbateurs endocriniens à la cantine, par l’association Cantine sans plastique France, Éd. du Détour, 17 euros.

(2) Association nationale des directeurs de la restauration territoriale.

À lire aussi dans ce dossier :

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Société Écologie
Temps de lecture : 11 minutes

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