Perturbateurs endocriniens : « La petite enfance et la puberté sont des périodes critiques »
Pour le biologiste Jean-Baptiste Fini, le risque sanitaire des perturbateurs endocriniens contenus dans les plastiques est réel. Il préconise d’appliquer le principe de précaution.
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Jean-Baptiste Fini est chercheur au CNRS, en unité mixte avec le Muséum national d’histoire naturelle spécialisée dans l’évolution des régulations endocriniennes. En 2017, il a intégré le groupe sur les perturbateurs endocriniens à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses).
De quand date la prise de conscience sur la nocivité des contenants et emballages alimentaires en plastique en lien avec la présence de perturbateurs endocriniens ?
Jean-Baptiste Fini : La prise de conscience du monde scientifique concernant les perturbateurs endocriniens remonte au début des années 1990. Mais on a intégré seulement dix ans plus tard qu’il n’y a pas que la reproduction qui est concernée, et que ces leurres hormonaux provenant de toutes les catégories de produits chimiques pouvaient jouer un rôle dans certains types de cancer ou des syndromes métaboliques (obésité et diabète), ou même, plus récemment, dans les perturbations thyroïdiennes lors du développement du cerveau.
La prise de conscience des problèmes relatifs au plastique dans les cantines remonte à 2015 mais ma propre implication date de novembre 2017. Un collectif de parents de Montrouge m’a contacté pour me demander de faire un exposé sur les perturbateurs endocriniens. Ils s’inquiétaient car leurs enfants se plaignaient du goût du plastique dans les plats ! Lors de cette rencontre-débat, nous avons pu établir que l’innocuité des plastiques utilisés n’est pas avérée.
Quelles sont les différences entre les différents plastiques utilisés dans l’alimentation ?
En fonction de leur composition et des adjuvants utilisés, ils sont classés de 1 à 7 (sur les bouteilles, par exemple, le numéro est inscrit sur le sigle du recyclage). Le polypropylène (n° 5) est considéré comme le plus « inerte », donc à même de contenir des aliments micro-ondables car il est possible de le chauffer sans qu’il ne se déforme, contrairement au polystyrène (n° 6). Les polyéthylènes (n° 1) sont utilisés pour les bouteilles, donc considérés comme fiables. Il est conseillé d’éviter les plastiques portants les numéros 3, 6 et 7.
Peut-on affirmer que les contenants alimentaires en plastique contiennent des perturbateurs endocriniens et qu’ils sont toxiques pour la santé humaine ?
La confusion entre toxicité et perturbation endocrinienne est fréquente. Toutes les molécules chimiques ne sont pas des perturbateurs endocriniens, mais certaines molécules appartenant aux pesticides, plastifiants, plastiques et cosmétiques peuvent prendre la place des hormones naturelles ou les bloquer. Les barquettes utilisées la plupart du temps par les cuisines sont en polypropylène. Cependant, il en existe de nombreuses formes, la différence tenant aux adjuvants. Certaines études montrent qu’en fonction de ces adjuvants des actions œstrogéniques peuvent être détectées. Des preuves s’accumulent dans la littérature scientifique, mais il en faut toujours plus. Ce que nous savons, c’est que ces contenants ne sont pas inertes et qu’une migration du contenant vers le contenu a lieu à froid et est augmentée par le chauffage. Il existe donc des interrogations quant à l’innocuité de ces faibles doses ingérées quotidiennement.
Quelles études font référence sur ce sujet ?
Il en existe peu, et encore moins sur les effets biologiques des faibles concentrations migrant du contenant vers l’aliment. En revanche, des études épidémiologiques révèlent un lien entre la consommation, l’utilisation de certains plastiques (comme les phtalates) et la santé. En 2015, une étude de l’Anses a montré la migration à froid de POSH (hydrocarbures de plastiques) depuis certaines barquettes en polypropylène, migration augmentée par le temps de stockage et la chaleur. Martin Wagner, un chercheur allemand, étudie l’impact des emballages plastiques sur des modèles biologiques et nous allons prochainement rédiger une communication scientifique spécifique sur l’impact des contenants alimentaires en plastique sur la santé humaine, qui devrait paraître en juin 2019.
Donc, pour le moment, vous ne pouvez pas dire à quelle dose journalière ces molécules sont nocives pour les enfants ?
Nous ne savons pas combien de ces résidus de plastique sont ingérés par les enfants et les conséquences sur leur système hormonal. Dans les laboratoires, nous utilisons des molécules achetées sous forme de poudre. Récupérer une barquette dans laquelle on aurait fait chauffer la nourriture à 120 °C, comme préconisé, ou à 130-140 °C, comme c’est plus souvent le cas pour gagner du temps, nécessiterait un projet à part entière. En revanche, nous savons que les perturbateurs endocriniens agissent à faible dose et que la petite enfance est une période critique pour l’exposition. Nous savons aussi que ces plastiques viennent de l’industrie pétrochimique. Pour citer le Dr Souvet, « c’est comme si nous mettions chaque jour deux ou trois gouttes d’huile de moteur dans le repas de nos enfants sans en connaître les conséquences ». Peut-être que ça ne fait rien, mais avons-nous vraiment envie de tenter l’expérience en situation réelle ?
Qu’en est-il des poches de cuisson en plastique utilisées par certaines cuisines centrales pour cuire pendant des heures la viande et le poisson ?
Il a été montré récemment que nous ingérons plus de phtalates quand nous allons souvent au restaurant, et ceci en raison de l’usage de poches sous vide. Ces objets sont très souples et contiennent très certainement ces phtalates. De plus, les aliments gras ou acides favorisent la migration des molécules. Là encore, l’innocuité reste à prouver !
Des alternatives aux barquettes en plastique existent-elles ? Sont-elles fiables ?
À ma connaissance, les alternatives vraiment inertes sont rares. Pour le moment, seuls le verre, le pyrex et l’inox le sont. Certains ont réfléchi à des solutions à base de bambou ou de cellulose, mais leur innocuité hormonale n’est pas encore prouvée car il y a de la colle pour l’assemblage et toujours un film plastique pour protéger l’aliment. Concernant le bioplastique, nous n’en sommes qu’aux balbutiements. Nous constatons qu’il est souvent difficile à composter totalement, que cela produit des particules apparentées aux nanoparticules, qui sont controversées tant sur le plan écologique qu’au niveau de la santé, et notamment concernant les perturbations hormonales, sur lesquelles nous ne disposons pas encore d’études.
Le principe de précaution et le cas de l’interdiction du bisphénol A ne constituent-ils pas des arguments assez puissants face aux lobbys du plastique ?
Le cas du bisphénol A ne peut pas faire jurisprudence car ce ne sont pas les mêmes plastiques ni les mêmes usages. Surtout, toutes les études sur les substituts notamment utilisés pour les biberons (bisphénols F et S) montrent qu’ils ont les mêmes effets que le BPA ! C’est ce qu’on appelle une substitution malheureuse. Le principe de précaution devrait primer, selon moi, mais l’amendement sur les barquettes en plastique lors de l’examen de la loi alimentation (Egalim) n’est pas passé. Pourtant, à l’inverse, la migration vers le tout-plastique dans le secteur de l’alimentation n’avait fait l’objet d’aucune consultation, car cela correspondait aux normes européennes et réduisait la pénibilité au travail.
Je ne vois pas ce qui empêcherait le gouvernement de prendre une décision fondée sur le principe de précaution et de financer des études pour fournir les preuves de l’innocuité de ces produits sur le système hormonal. Cela aurait le double avantage d’apporter une réponse à la question et de protéger les enfants pendant une période particulièrement sensible. Car, je le rappelle, la petite enfance comme la puberté sont des périodes de vulnérabilité aux perturbateurs endocriniens !
Jean-Baptiste Fini, chercheur en biologie, membre du groupe sur les perturbateurs endocriniens à l’Anses.
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