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Depuis cinq ans, « Un festival à Villerville » se met à l’écoute des nouvelles générations d’artistes, en marge des institutions existantes.
dans l’hebdo N° 1518 Acheter ce numéro
Dans Le Brame du cerf, création collective présentée au Théâtre de Vanves la saison dernière, Renaud Triffault mettait en scène des individus solitaires. Des êtres fragiles qui, pour tenter de refaire société, s’enfermaient dans une maison isolée au cœur d’un bois. Lorsque Alain Desnot, fondateur d’« Un festival à Villerville » (Calvados), lui propose une résidence dans le village sis entre Trouville et Honfleur où il a établi ses quartiers de fin d’été, l’artiste y voit l’occasion de poursuivre sa réflexion sur le rapport de l’homme à son environnement.
« Je voulais depuis un moment travailler sur les milieux ruraux. Cette invitation m’en a offert l’occasion rêvée », explique Renaud Triffault près du lieu qu’il a investi pendant dix-huit jours avec les comédiennes Ludivine Bluche et Lucie Boissonneau. Un chalet en bois mis chaque année à la disposition du festival par la municipalité de Villerville, avec vue sur la baie de la Côte fleurie.
C’est ici qu’a été présenté, lors de la 5e édition de l’événement (30 août-2 septembre), le résultat de ce travail. Soit Les Miraux, où trois personnages – un couple en crise et la sœur de l’homme, fermière dont l’exploitation n’est guère en meilleur état – tentent de résister aux divers dangers qui les menacent. Environnementaux et relationnels.
Nourrie d’échanges avec Didier de la Porte, qui a transformé au début des années 1980 la culture traditionnelle de la ferme du château de Villerville en bio, et de rencontres multiples (jusqu’à un chien dont le propriétaire, un voisin du chalet, gère les allées et venues pendant le spectacle), cette pièce est une « fiction construite à partir d’improvisations » qui illustre très bien l’esprit du festival. Son côté alternatif.
Conjuguant ancrage territorial et exigence artistique, « Un festival à Villerville » se démarque de la logique festivalière dominante, qui privilégie la diffusion au détriment du soutien à la création. Après une carrière d’attaché de presse et d’administrateur au sein de plusieurs structures – le Festival d’Avignon puis celui d’automne sous la direction d’Alain Crombecque et le Théâtre de l’Odéon, entre autres – et la codirection du festival Paris quartier d’été, Alain Desnot cherche en effet à « revenir aux fondamentaux du festival en étant à l’écoute des envies de la nouvelle génération d’artistes, dont une partie souhaite s’éloigner de l’institution pour faire un théâtre de proximité ».
Plutôt qu’un « découvreur », le directeur se définit comme un « veilleur ». À la retraite, il met bénévolement son expérience au service de ce désir de proximité, qui suscite depuis quelques années la création de festivals « différents ». Celui de Villeréal dans le Lot-et-Garonne, par exemple, où, depuis dix ans, des artistes présentent des créations inédites après une résidence de six semaines. Et organisent des repas, des concerts et autres moments de partage avec les habitants impliqués dans l’organisation de l’événement. Dans le même esprit, Les Effusions à Val-de-Reuil (Eure) ont organisé leur troisième édition les 1er et 2 septembre, et la première édition des Estivales à Vendegies-sur-Écaillon (Nord), portée par la compagnie Art & Cendres, a eu lieu du 30 août au 2 septembre. Une tendance qui, selon Alain Desnot, « pourrait être qualifiée de “deuxième décentralisation théâtrale” si elle venait à s’étendre ».
Malgré des moyens très réduits – si la ville et le département soutiennent le festival, personne de la Drac n’y a jamais mis les pieds –, « Un festival à Villerville » est porté par cette envie de faire du théâtre autrement. Ce qui s’exprime sous des formes très diverses. Notamment deux seuls-en-scène de l’étonnant Geoffrey Rouge-Carrassat, issu du Jeune Théâtre national (JTN), précieux partenaire du festival, une adaptation par Camille Dagen du roman Chanson douce de Leïla Slimani, ou encore un polar conçu par Claire Barrabès et Pauline Collin, avec des habitants du village et des comédiens. De quoi rivaliser avec Un singe en hiver d’Henri Verneuil, dont le tournage en 1962 est encore une fierté du village, et pourquoi pas avec le festival de cinéma de Deauville ?