Deux boulots et toujours pauvre
Un tiers des familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté. Rencontre avec Eva, mère de quatre enfants, et Fatima-Zahra, la bénévole qui l’aide à conquérir son indépendance.
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Eva (1) est souriante, mais on sent son épuisement. Son interlocutrice lui propose une infusion de verveine. Elle accepte avec humilité, tout comme le sucre qu’on lui tend. En cette fin de semaine, Eva vient d’entrer, foulard sur la tête et lunettes sur le nez, dans les locaux de l’association École et famille, à Saint-Ouen-l’Aumône (Val-d’Oise). Dans ce centre de proximité et de ressources, elle est accueillie par Fatima-Zahra. Les deux femmes se connaissent bien. Et pour cause : la seconde épaule la première depuis des années dans son combat pour la dignité et l’indépendance.
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Fatima-Zahra Dridi nous accueille dans les locaux d’École et famille, dont elle est membre bénévole depuis 2008. L’association a été fondée en 1999 par Marie-Claire Michaud, une assistante sociale. Le bâtiment de deux étages est situé entre deux écoles. « J’ai connu l’association par le biais d’une personne qui travaille ici, que j’ai rencontrée dans un LAEP [lieu d’accueil enfants-parents]. À l’époque, je ne travaillais plus, je m’occupais de mon petit dernier, mais je ne pouvais pas rester sans activité. Je voulais être bénévole. Alors je suis venue ici avec lui. »
Fatima-Zahra devient « parent relais ». « On m’a invitée ici pour que je participe au groupe intercultures, qui permet les rencontres entre familles. D’abord, j’étais participante, maintenant, je l’anime. » Son benjamin a aujourd’hui 10 ans. Elle vient ici une fois par semaine, en dehors de son travail d’auxiliaire de vie scolaire, qu’elle exerce depuis trois ans. « Avant, j’étais assistante de gestion de PME-PMI. J’ai abandonné parce que ça ne me correspondait pas. À 35 ans, j’ai trouvé une autre vocation », conclut-elle en se tournant vers Eva. Les deux femmes se sourient et rient de bon cœur.
Très vite, Fatima-Zahra a ressenti la pénurie d’agents sociaux. Tout se fait sur Internet, « il n’y a plus vraiment d’humains » : « Le seul endroit où l’on va encore, c’est la caisse d’assurance maladie. Mais on y rencontre des difficultés. » Pourquoi ? « Parce que les aides changent tout le temps. Et puis je pense qu’ils sont dépassés car ils manquent d’agents », déplore la bénévole.
Sans aides sociales, pourtant, Eva n’aurait pu survivre. Elle cumule les désavantages économiques : mère isolée, quatre enfants à charge, un salaire de toute évidence insuffisant. Deux salaires, même : Eva doit jongler avec deux emplois d’agent de service. « De 6 à 13 heures, je fais l’entretien au foyer des jeunes travailleurs de Saint-Ouen-l’Aumône. » Trente-cinq heures par semaine, lieu de travail fixe. Puis, « l’après-midi, j’ai deux à quatre heures de travail en aide à domicile ». Les horaires sont irréguliers, mais, surtout, les lieux d’intervention s’étendent sur tout le Val-d’Oise. « Aujourd’hui, j’ai fait quatre heures à Menucourt » : il faut une heure de bus à Eva pour atteindre cette ville, autant pour en revenir. Cumulés, ses deux salaires n’atteignent « même pas 1 500 euros par mois », alors qu’Eva consacre une soixantaine d’heures par semaine à son travail, si l’on tient compte des trajets.
Eva trouve ses employeurs plutôt « gentils ». Certains lui demandent comment va sa famille, « mais j’ai honte de répondre ». Car la vie est difficile. Ses deux aînés sont majeurs, mais sans emploi fixe. Sa fille Awa, 23 ans, attend ses papiers, ce qui rend impossible une recherche d’emploi mais lui permet de s’occuper d’Ousmane, le plus jeune, actuellement en CE2. « Sans elle, je ne pourrais pas faire tout le travail que je fais », confesse Eva. Cheikh, 20 ans, est cantonné à de rares contrats d’intérim avec la mission locale. Babacar, 17 ans, est celui qui préoccupe le plus Eva : il a trouvé un employeur pour commencer un apprentissage, mais son inscription au lycée n’est pas finalisée, et il se trouve à Villiers-le-Bel, à une heure et quart par les transports en commun.
Eva fait un constat : « C’est compliqué, mais avant je n’avais même pas ça. Au moins, je suis tranquille avec mes enfants », explique-t-elle d’un ton presque positif. « Et puis je paie le loyer [près de 800 euros pour un F3]. Ce n’est pas facile du tout, mais, la priorité, c’était le logement plutôt que de manger. Le petit a grandi à la chambre d’hôtel jusqu’à 6 ans. Là-bas, il n’y avait pas beaucoup d’intimité, c’est ça qui m’a fait le plus mal. » Actuellement, « j’ai ma chambre, je dors comme je veux, ils ont leur chambre, je suis bien plus tranquille. Même si je n’ai pas assez d’argent pour le nécessaire, comme les courses. Des fois, on est bloqués, souvent en fin de mois, vers le 25. On se démerde comme on peut pour s’en sortir… »
Fatima-Zahra s’interroge sur les droits sociaux d’Eva. Elle explique : « On accompagne tellement de familles qui sont dans des situations plus compliquées que celle d’Eva qu’on en oublie certaines priorités. Parfois, on passe à côté d’aides qu’on pourrait demander. » « Faudra qu’on voie ça », dit la bénévole à Eva.
Il faut dire que Fatima-Zahra a déjà beaucoup accompli pour la famille : les emplois, qui ont été trouvés grâce à l’association École et famille et une autre plus spécialisée dans l’accompagnement des enfants – « l’association Parrains un par un, il faut les citer », insiste la bénévole –, l’ouverture des droits, de la régularisation des papiers jusqu’à l’obtention d’allocations et des droits de domiciliation. Cela fait sept ans qu’elle est aux côtés d’Eva et des siens. Ange gardien ? Si l’on en croit les mots qu’emploie beaucoup la bénévole, tout simplement de la « bienveillance » et de la « générosité ».
(1) Tous les prénoms de la famille d’Eva ont été modifiés.