La France insoumise, l’immigration, et le sens du vent

TRIBUNE. Fabien Marcot, confondateur du Temps des lilas, voit de l’opportunisme dans les changements de discours de Jean-Luc Mélenchon sur la question migratoire.

Fabien Marcot  • 20 septembre 2018
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La France insoumise, l’immigration, et le sens du vent
© photo : CHRISTOPHE SIMON / AFP

Depuis quelques semaines, une question agite commentateurs politiques et militants : à la manière de Sahra Wagenknecht, députée allemande de Die Linke, la France Insoumise aurait-elle choisi de “droitiser” son discours sur l’immigration, pour séduire une partie de l’électorat populaire supposément tenté par l’extrême droite ? Et plus généralement, entre les grands discours du « tribun », le programme hérité du Front de gauche, et les petites phrases de ses porte-paroles, parfois contradictoires, comment comprendre le projet du mouvement de Jean-Luc Mélenchon ?

Fabien Marcot est cofondateur du Temps des lilas. Celui-ci se veut « un laboratoire de réflexion alternatif. Face au TINA (“There Is No Alternative”), nous opposons les LILAS (“Libres d’Inventer Les Autres Solutions”) ».

« Écoutez vous autres, écoutez, c’est le silence de la mort. » Le 9 avril 2017, face à la plage du Prado à Marseille, Jean-Luc Mélenchon s’adresse à celles et ceux qui sont venu l’écouter, en pleine campagne pour l’élection présidentielle. Dans une ambiance très solennelle, il demande alors à la foule d’observer une minute de silence pour « les 30 000 disparus en mer ».

Cinq ans auparavant, lors de la campagne présidentielle précédente, c’est au même endroit que le candidat s’était déjà exprimé au sujet de l’immigration. Mais derrière la solennité et l’émotion maîtrisée, un glissement s’est pourtant opéré entre les deux discours. Alors qu’en 2012, Jean-Luc Mélenchon affirmait que « notre chance est le métissage » et qu’il n’y avait « pas d’avenir en France sans les peuples du Maghreb », le discours de 2017 insistait davantage sur le fait que « l’émigration est toujours un exil forcé, une souffrance » :

Mais dans la tonalité générale, impossible de penser que cet homme aux accents lyriques et aux larmes dans les yeux, évoquant son propre « déracinement » en parlant de son départ, enfant, du Maroc pour la France, ne défendrait pas une position humaniste. 

Si les discours de Jean-Luc Mélenchon permettent d’observer un changement de tonalité à la marge, le programme de la France insoumise, quasi identique à celui du Front de gauche depuis 2008, n’a lui pas évolué : respect du droit d’asile, régularisation des travailleur.se.s sans papiers, fin du placement des enfants en centre de rétention… Rien de très révolutionnaire, mais rien non plus d’outrageusement réactionnaire.

Si l’on veut comprendre les récents débats et se faire une idée de l’infléchissement de la position de la France insoumise sur cette question, ce n’est donc pas dans le programme qu’il faut chercher. 

En réalité, pour comprendre les évolutions de la position de la France Insoumise sur les questions migratoires, il faut s’attarder ailleurs…

Vocabulaire traditionnel de l’extrême droite

Si en 2012, les militants du Front de gauche scandaient que « le problème c’est le banquier, pas l’immigré », depuis, le ton a changé. Le 5 juillet 2016, intervenant au Parlement européen sur la question des travailleurs détachés, Jean-Luc Mélenchon s’insurge : « […] dans chaque pays, chaque fois qu’arrive un travailleur détaché, qui vole son pain aux travailleurs qui se trouvent sur place […] ».

Il aura beau expliquer pendant des jours que cette expression « n’était pas connotée », difficile de ne pas reconnaître ici le vocabulaire traditionnel de l’extrême droite. Comme il pouvait s’y attendre, toute une partie de la gauche française s’est alors émue de ce changement de ton, alors que l’extrême droite se félicitait de cette nouvelle victoire culturelle.

Plus récemment, en décembre 2017, Djordje Kuzmanovic, conseiller de Jean-Luc Mélenchon sur ces questions et candidat sur la liste des élections européennes, poste sur Twitter : « L’immigration est une richesse pour la France… qui en regorge déjà. […] Ne parlons pas des 6 millions de chômeurs, 9 millions de pauvres et 4 millions de mal logés. On offre quoi aux migrants ? » :

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Quelques mois plus tard, il en rajoute une couche dans une interview à L’Obs en point du doigt « cette gauche [qui] s’est concentrée sur des questions sociétales – le féminisme, les droits LGBT et les migrants » et en avertissant que « si une personne n’est pas éligible au droit d’asile, il faut la renvoyer dans son pays. Et rapidement ».

Face au tollé provoqué par ces déclarations, y compris au sein même de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon prend ses distances. Du moins, en apparence. Car si ce dernier prévient L’Obs que Djordje Kuzmanovic « engage des polémiques qui ne sont pas les [siennes] », au même moment, sur son compte Facebook, il invite à lire et « comprendre dans le texte » un article de Libération citant Sahra Wagenknecht, la député allemande de Die Linke : « Plus d’immigration signifie de plus en plus de concurrence pour les emplois […] Et, bien sûr, une plus grande charge sur l’infrastructure sociale. » On est loin d’une prise de distance.

Petites phrases

On ne s’étonnera donc pas que Djordje Kuzmanovic, après cette polémique, figure toujours en bonne place sur la liste des élections européennes de la France insoumise…

 Alors que croire ? Le programme resté le même, les discours face à la mer, ou les petites phrases savamment distillées ? En réalité, chaque format, chaque déclaration, vise un public particulier et permet – en l’absence d’instances démocratiques dans la France insoumise – de pouvoir satisfaire des positions aussi contradictoires que celles, par exemple, de Danièle Obono ou Djordje Kuzmanovic.

Pour les militants, très majoritairement issus des partis de gauche, le programme fait loi. Il permet de prétendre qu’au-delà de telle erreur de vocabulaire, tel mot hasardeux, telle phrase soi-disant tronquée par les médias honnis, le fond ne change pas. Pour les sympathisants, c’est l’éloquence de Jean-Luc Mélenchon qui fait office de projet : ses discours voix tremblante sur le terrible sort des migrants ne permettraient pas de doute sur ses intentions.

C’est donc peut-être dans les petites phrases, ces éléments de langage distillés ci et là par ses lieutenants, parfois par le candidat lui-même, qu’il faut chercher les véritables orientations de la France insoumise. Car, et cette stratégie est mûrement réfléchie, ce sont ces petites phrases qui abreuveront les rédactions politiques, publiquement méprisées par la FI mais habilement utilisées pour servir sa stratégie de court terme.

C’est ainsi que tous les éditorialistes souligneront (salueront, même) le « changement de cap » de la France insoumise sur les questions migratoires. Et c’est ce que les téléspectateurs de BFMTV ou de TF1 retiendront : objectif accompli.



Si sa position, ou ce qu’il veut qu’on en retienne à un moment donné, peut avoir l’air de si facilement changer sur des questions pourtant si importantes, c’est que le court terme, l’opportunisme en fonction de la situation du moment – telle qu’il la comprend – fait le plus souvent office de stratégie politique chez Jean-Luc Mélenchon.

Revirements permanents

Rares sont les hommes politiques qui auront été capables de défendre autant de positions différentes au cours de leur carrière. Débutée chez les trotskistes de l’OCI, la carrière de Jean-Luc Mélenchon est marquée par les revirements permanents de celui qui aura été tour à tour conseiller régional, sénateur, ministre, député européen et député.

De l’union de la gauche au « ni droite ni gauche », de l’alliance avec le PCF aux insultes contre « la mort et le néant », de la défense du traité de Maastrich au plan A/plan B (qui lui-même changera de sens plusieurs fois en quelques années), de la défense des partis à la dissolution dans un « mouvement gazeux », de la recherche d’alliances à la critique de la « tambouille politicienne » pour finalement chercher aujourd’hui à se rapprocher des anciens frondeurs : les convictions profondes de Jean-Luc Mélenchon peuvent-être difficiles à cerner tant elles semblent pouvoir varier en fonction des circonstances.

Récemment, un événement a mis en lumière ce point fondamental dans la stratégie de Jean-Luc Mélenchon. Interrogé par un journaliste à Marseille alors qu’il était entouré de ses militants, le député de la France insoumise avait alors qualifié Emmanuel Macron de « plus grand xénophobe ». Le soir-même, alors qu’une rencontre faussement improvisée entre l’ancien sénateur et le président de la République avait lieu devant les caméras, le premier niait avoir tenu ces propos, se félicitant même du « respect » entre les deux hommes.

Si le reniement en direct de Jean-Luc Mélenchon a pu amuser, comme on s’amuserait d’un gamin les babines recouvertes de confiture niant avoir touché au pot, cette scène aura surtout montré la capacité de l’homme de changer totalement de discours en quelques heures à peine.

 Mais alors, si les suffrages venaient à le porter au pouvoir, quel Mélenchon serait élu : celui du programme, celui des grands discours, ou celui qui n’ose répéter face aux puissants ce qu’il affirmait crânement devant les caméras quelques heures plus tôt ? En 2012, François Hollande déclarait, la voix éraillée par l’émotion du moment : « Mon ennemi, c’est le monde de la finance. » On sait désormais ce qu’il advient de ne juger les hommes politiques que sur leurs beaux discours dictés par l’opportunisme politique.

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