L’histoire d’un historien
Chercheur de renom, ancien directeur de la revue _Les Annales_, Jacques Revel retrace son parcours dans une conversation au long cours avec le journaliste Emmanuel Laurentin.
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Un historien peut-il se raconter ? Peut-il lui-même devenir objet historique ? Ce sont là les principales interrogations qui se sont posées à Jacques Revel quand il a accepté l’invitation du producteur de « La Fabrique de l’Histoire » sur France Culture, Emmanuel Laurentin, pour une série de dialogues durant toute une semaine dans le cadre de l’émission « À voix nue » (1). Comme son nom l’indique, celle-ci entend entraîner l’invité à se dévoiler lui-même, sous le feu des questions de l’intervieweur.
Dès la préface, Jacques Revel reconnaît avoir accepté l’invitation un peu vite, « volontiers, sans y réfléchir davantage ». Mais il est bientôt gêné, gagné par des « réticences », ou même des « réserves ». S’il a eu souvent l’occasion de s’exprimer sur l’historiographie contemporaine et ses « transformations » récentes, l’exercice de se confier lui est peu familier ou plutôt difficile, dans la mesure où il n’est pas « exagérément porté sur l’égotisme ».
Au fil des questions du journaliste, Jacques Revel se prend pourtant au jeu, non sans conserver une certaine pudeur. Il accepte de raconter sa jeunesse à Belfort, sa formation intellectuelle en khâgne puis rue d’Ulm à Normale sup. Et enfin d’expliquer pourquoi il s’est « finalement résolu à devenir historien » au cours des années 1960, avec moult précisions sur les transformations souvent fécondes et les influences qui vont alors secouer la discipline, dont, en tout premier lieu, le structuralisme.
Agrégé d’histoire en 1968, Jacques Revel se souvient ainsi de ce « moment structuraliste » : « Nous étions prêts à nous convaincre que le monde social était régi par des règles, des grammaires, des régimes, des dispositifs qui informaient nos choix et nos comportements. […] Oui, la fascination de ce type d’exercice était forte, et sans doute plus encore lorsqu’il nous était administré avec l’immense savoir de Dumézil, la rigueur et l’élégance de Lévi-Strauss, la rhétorique éblouissante de Foucault. » Et l’historien d’admettre qu’il a « parfois le sentiment d’avoir gardé un pli structuraliste dans la tête »…
Mais, au-delà de la marque assez tenace de ce « pli », les nombreux et passionnants souvenirs de travail et de recherche narrés par Jacques Revel rendent surtout compte d’un « moment historiographique ». Celui d’un demi-siècle où l’histoire s’est renouvelée profondément, dans ses pratiques, ses propositions, mais aussi dans les questions qu’elle pose et dans celles qu’on lui pose. Celui aussi, et contrairement à une image convenue de l’historien, d’un travail collectif. Et Jacques Revel d’insister sur ce point : « Je sais aussi que l’on ne réfléchit ni n’écrit jamais seul. Il n’est pas d’exercice singulier. »
(1) La série, en cinq épisodes, a été diffusée sur France Culture en avril 2017.
Un moment, des histoires de Jacques Revel, éd. de l’EHESS, coll. « Audiographie », postface de Christophe Prochasson, 168 p., 9,80 euros.