Lobbys : Des « taupes » à l’exécutif

En mai, Delphine Batho dénonçait à la tribune de l’Assemblée la puissance des lobbys pro-glyphosate, informés d’un amendement avant les députés eux-mêmes.

Mathieu Pedro  • 5 septembre 2018 abonné·es
Lobbys : Des « taupes » à l’exécutif
photo : L’enquête suscitée par le scandale dénoncé par Delphine Batho n’a donné aucun résultat.
© LIONEL BONAVENTURE/AFP

Assemblée nationale, mardi 22 mai. Ce jour-là est discuté le projet de loi agriculture et alimentation, défendu par le ministre Stéphane Travert. À la tribune, Delphine Batho se sent contrainte d’« informer » ses collègues parlementaires que son amendement a fuité vers un lobby avant même qu’il n’ait été mis à leur disposition par les services de l’Assemblée. Elle en est certaine, car une erreur s’était glissée dans sa version initiale, déposée depuis son domicile dans le logiciel interne de l’Assemblée. Or l’erreur a été corrigée quelques heures après par l’équipe de la députée, mais c’est la première version de l’amendement qui est arrivée jusqu’au lobby…

Que proposait la députée non-inscrite des Deux-Sèvres dans cet amendement CD182 ? L’interdiction du glyphosate à compter du 1er juillet 2021. Quel groupement d’intérêts y était particulièrement attentif ? « Il s’avère, sans le moindre doute possible, que cet amendement est parvenu à l’UIPP [Union des industries de la protection des plantes], qui regroupe Bayer, Monsanto, BASF, Syngenta, entre autres, dès le 23 mars, plus de 90 heures avant qu’il ne soit publié et porté à votre connaissance », affirme Delphine Batho devant l’hémicycle.

Si la députée a su ce qui s’était passé, c’est qu’elle a été contactée, déclare-t-elle alors, par un lanceur d’alerte lui faisant part d’un e-mail de Dow Chemical, géant américain de la chimie, qui relayait un argumentaire concocté par l’UIPP et demandait aux destinataires « de sensibiliser [leurs] députés » pour qu’ils reprennent la rhétorique énoncée dans le document. Le 30 mars, la députée a saisi des faits le président de l’Assemblée nationale. Deux mois plus tard – et deux jours après l’intervention de Delphine Batho à la tribune –, François de Rugy lui adresse une lettre où il l’informe qu’il existe « une pratique » consistant à envoyer les textes des amendements au gouvernement avant qu’ils ne soient examinés par les services de l’Assemblée. Comprendre : s’il y a une taupe, il y a de grandes chances pour qu’elle se trouve à l’exécutif, et non pas à la chambre basse.

Malgré le scandale suscité, l’enquête menée par l’Assemblée nationale ne donnera aucun résultat. De son côté, l’UIPP se contente de démentir avec un bête communiqué et, le mardi 29 mai à 2 heures du matin, l’amendement de Delphine Batho est rejeté par 69 voix contre 9. Celui de son homologue Matthieu Orphelin (LREM) connaît le même sort (63 contre 20), alors qu’il prévoyait de possibles dérogations pour les agriculteurs souffrant d’une interdiction trop brutale de la substance.

Delphine Batho n’en était pas à sa première déconvenue vis-à-vis des lobbys. Après un an et onze jours passés au ministère de l’Écologie, elle a été sèchement remerciée le 4 juillet 2013 par le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, pour avoir déploré, dans le cadre de la loi de finances de 2014, la baisse de 7 % du budget de son ministère – la plus forte de tous – dans une matinale de RTL. Dans son livre Insoumise, publié en 2014, elle raconte la pression des groupes financiers et patronaux, notamment sur les dossiers du gaz de schiste ou du nucléaire, auprès d’un pouvoir qu’elle décrit replié sur la bureaucratie et l’énarchie. Une pression également exercée par des ministres et des conseillers élyséens. Parmi ces derniers, celui dont Delphine Batho se souvient comme le relais le plus zélé des attentes des grands groupes s’appelait… Emmanuel Macron.

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