Macron, ministre de l’Écologie

Avec la nomination de François de Rugy, le Président met au moins fin aux ambiguïtés de son discours écologiste, et aux illusions qu’elles ont parfois créées.

Denis Sieffert  • 4 septembre 2018
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Macron, ministre de l’Écologie
© photo : LUDOVIC MARIN / AFP

Tout avait commencé par une bruyante campagne médiatique de Daniel Cohn-Bendit pour nous dire que, finalement, il n’était pas candidat à la succession de Nicolas Hulot. Anecdotique. Mais on aurait dû prêter attention à l’argument employé par Emmanuel Macron pour éloigner son ami d’une ambition sans doute déraisonnable : « Dany, tu es trop libre pour être ministre. » Aveu à double tranchant. On cherchait donc, dans l’esprit du Président, quelqu’un qui abjurerait sa liberté. Un avaleur professionnel de couleuvres. Le nom de François de Rugy n’était pas encore prononcé que ce portrait-robot lui ressemblait déjà trait pour trait. Parallèlement, le microcosme débattait avec passion d’un autre problème : fallait-il un petit ou un grand remaniement ? Allait-on passer à la trappe Gérald Darmanin, victime d’un bug plus politique qu’informatique sur le prélèvement à la source ? Et qui pour succéder à Laura Flessel, elle aussi saisie par le sérum de vérité à propos du sort réservé au mouvement sportif ?

On connaît donc aujourd’hui les réponses que le président de la République a apportées à ces obsédantes questions. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles ne sont pas à la hauteur des enjeux. Nicolas Hulot avait pourtant eu l’immense mérite d’exprimer, dans l’émotion, des choses essentielles. Par l’indéniable sincérité de sa démarche, il avait produit un choc psychologique. En témoigne, la parution dans Le Monde, quelques jours plus tard, d’un appel de deux cents artistes qui parlent non sans raison du « plus grand défi de l’histoire de l’humanité ».

Le moins politique de tous les ministres avait fait le constat le plus politique qui soit : quand il en va du sort de la planète, l’écologie ne peut pas être un ministère comme les autres, un parmi trente, soumis, comme on dit, aux « arbitrages de Bercy », et à l’habileté manipulatrice des lobbys. Hulot a eu le mérite de pointer explicitement la contradiction entre libéralisme et avenir de l’espèce humaine. Tout ce que de Rugy (ou alors, il faudrait qu’il nous étonne grandement) aura à cœur d’oublier. Pour tenir compte du cri d’alarme de Nicolas Hulot, il faudrait que le président de la République change tout simplement de paradigme. Ou, si l’on veut le dire de façon plus matérialiste, il faudrait qu’il renonce à défendre les intérêts économiques qu’il représente avec tant de constance depuis quinze mois. Il faudrait qu’il rompe avec la religion d’une sainte croissance qui ne s’interroge jamais sur ses finalités, et qui détermine toute politique de l’emploi.

Or, Macron, homme du passé, ne le peut pas. Avec la nomination de François de Rugy, il met au moins fin aux ambiguïtés de son discours écologiste, et aux illusions qu’elles ont parfois créées. Il va désormais traîner comme un boulet ces dossiers sur lesquels il a perdu la crédibilité que lui accordaient encore les naïfs. D’autant plus qu’en installant un personnage qui lui doit tout, il s’expose en première ligne. Le voilà en quelque sorte à la tête d’un ministère auquel il n’accorde guère de crédits, dans tous les sens du mot.

En vérité, tout occupé à ses réformes antisociales, le Président des riches s’éloigne chaque jour un peu plus d’une politique écologique. Et il nous éloigne de cet Accord de Paris qui fixait comme un impératif la réduction annuelle de 5 % des émissions de gaz à effet de serre. Pour mener à bien une autre politique, et afin que celle-ci ne soit pas contradictoire avec des impératifs sociaux, il lui faudrait faire le choix d’investissements massifs. Mais quid des traités européens dont Emmanuel Macron est un exécutant zélé ? Les signataires d’un intéressant appel publié par Alternatives économiques proposent tout de même une piste. Ils suggèrent d’isoler les fonds publics affectés à un programme de transition écologique du déficit budgétaire. Le traité de Maastricht serait ainsi contourné. L’enjeu le justifierait. Hélas, avec le gouvernement que nous avons, la question relève un peu de la rhétorique.

On voit mal l’actuel président de la République, ses amis du Medef, les commissaires européens, et Angela Merkel, s’engager dans cette voie. Mais l’intérêt de cet appel, moins clinquant mais plus important que celui du Monde, est peut-être ailleurs. Signé par des économistes de renom, Thomas Coutrot, Jean Gadrey, Éric Heyer et Thomas Piketty notamment, et par Pascal Canfin, un temps pressenti pour succéder à Hulot, il porte aussi la signature de nombreux syndicalistes, dont les trois leaders des grandes confédérations syndicales. On connaît pourtant les préventions, souvent légitimes, de la CGT à l’égard d’une écologie perçue comme destructrice d’emplois, ou sacrifiant le présent pour un avenir incertain. Il y a donc là quelque chose de nouveau. On conclura de cette semaine agitée que plus que jamais, sur ces sujets, la dynamique est du côté de la société civile. Et, moins que jamais, du côté du gouvernement.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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