Reconnaissance de Maurice Audin : « Une avancée très positive »
Selon Mohammed Harbi, le geste d’Emmanuel Macron ouvre une voie favorable aux relations franco-algériennes.
dans l’hebdo N° 1519 Acheter ce numéro
Historien réputé, après avoir participé à la guerre de libération dans les rangs du FLN, où il occupa de hautes responsabilités, et avoir connu la prison sous Boumédiène, Mohammed Harbi ne pouvait rester insensible aux déclarations du président français concernant Maurice Audin. C’est une grande voix algérienne qui réagit ici.
Que vous inspirent les déclarations d’Emmanuel Macron sur la reconnaissance de la responsabilité de l’État français dans l’assassinat de Maurice Audin ?
Mohammed Harbi : Je pense que, dans le contexte des relations franco-algériennes, c’est une avancée très positive. Elle ouvre la voie à ce qui pourrait être une remise en cause de ce qui constitue le cœur des relations franco-algériennes, pour en finir avec les campagnes de haine. D’un côté, il faudrait que la France accepte que l’Algérie soit un pays indépendant et, de l’autre, que l’Algérie accepte que la France ne soit plus considérée comme le pays ennemi, tel que la désigne l’hymne national.
Comment expliquez-vous qu’il ait fallu tant de temps à l’État français pour reconnaître sa responsabilité dans ce meurtre et dans l’usage de la torture ?
L’un des gros problèmes est la question du nationalisme français. Et la pièce maîtresse de ce nationalisme, c’est l’armée. En 2002, on a vu la publication d’un livre blanc des généraux français sur la question algérienne qui entendait « réhabiliter l’action de l’armée en Algérie face à la diffamation généralisée ». Aujourd’hui encore, un certain nombre d’officiers, même s’ils sont à la retraite, ont une influence sur la vie et l’évolution de l’armée. Les ruptures et les réconciliations ne se font pas facilement.
Même si, d’une certaine façon, cette reconnaissance par l’État français concerne une affaire franco-française, vous pensez donc qu’elle peut avoir une influence sur les relations entre les deux pays…
Cet acte de la France pose la question des disparus d’une manière générale. Mon regretté ami Pierre Vidal-Naquet faisait du cas de Maurice Audin un cas valable pour tous les disparus, Algériens compris bien sûr. D’ailleurs, dans sa déclaration, le président français a annoncé l’ouverture des archives les concernant. Parmi eux, il y a Larbi Tébessi, un des dirigeants de l’Association des oulémas musulmans algériens, ainsi qu’un certain nombre d’édiles municipaux et beaucoup d’autres… On pourrait établir une très longue liste.
Pensez-vous que le pouvoir algérien pourrait lui aussi ouvrir les archives de ce côté-là de la Méditerranée ?
Je crois que cette question des archives algériennes est très délicate pour le régime actuel. Mais je pense que c’est une question qui se pose parce qu’elle est inévitable.
Croyez-vous que, pour les jeunes Français dont les parents ou les grands-parents sont algériens, cette décision d’Emmanuel Macron peut avoir une incidence sur leur façon de percevoir leur pays ?
Je n’en doute pas. Dans les contacts que j’ai avec les jeunes Algériens en France ou les jeunes Français de parents algériens, je constate que cela compte beaucoup.