Tournant tunisien
La fin de l’alliance entre Ennahdha et la République tunisienne de Béji Caïd Essebsi marque la « fin du consensus » post-révolutionnaire.
dans l’hebdo N° 1520 Acheter ce numéro
En affirmant la fin de son alliance avec le parti Ennahdha, le président de la République tunisienne, Béji Caïd Essebsi, prend acte de la « fin du consensus » post-révolutionnaire. Ce consensus avait permis de conduire un processus favorable à une démocratie parlementaire, et dans lequel les principes fondamentaux de la Tunisie moderne (laïcité, droits des femmes, forme républicaine de l’État) avaient été globalement préservés. Il avait été rendu possible par le rapport de force réel au sein des forces révolutionnaires entre la gauche, les islamistes, les nationalistes, etc., et dont tous avaient conscience. Certes, rien n’est jamais acquis pour les progressistes tunisiens, tant ils et elles ont à faire en permanence à un bloc islamo-conservateur dont les contradictions internes brossent souvent les mauvais poils, dans le mauvais sens. À ce jour, la vitalité politique du pays et le dynamisme d’une société mobilisée via syndicats et associations restent les meilleurs gardiens de la modernité tunisienne.
Mais trois nuages lourds planent au-dessus : d’abord l’état social du pays, qui s’est aggravé depuis 2011. Le chômage de masse mine la jeunesse, dont celle du Sud en particulier, qui rêve d’ailleurs ; ensuite, le champ politique hyper fragmenté renforce le surplomb autoritaire du chef de l’État (ça nous rappelle vaguement quelque chose, non ?) ; enfin, l’incertitude sur les choix du parti Ennahdha risque de générer des turbulences. Certes, ce parti n’a jamais perdu une occasion de rappeler son ADN hyper conservateur, voire réactionnaire, on l’a vu récemment lors du débat sur l’égalité femmes-hommes dans l’héritage. Mais son chef, Rached Ghannouchi, avait clairement assumé d’engager la doctrine de son mouvement vers la sécularisation (c’est-à-dire une séparation du religieux et du politique), en devenant des « démocrates-musulmans ». C’était en 2016, et il déclarait : « Il n’y a plus de justification à l’islam politique en Tunisie (1). » Il avait même explicitement été jusqu’à refuser la criminalisation de l’homosexualité. Et ses députés ne cessent de revendiquer la « stabilité politique ».
Mais annoncée à quelques mois des prochaines élections nationales, la fin du pacte entre le parti du Président et les islamistes va certainement pousser le centre de gravité du débat autour des thèmes favoris de la base militante d’Ennahdha. Dans une Tunisie que personne n’aide vraiment, sans bloc progressiste organisé, et qui s’enfonce dans la crise économique, les nuages risquent de gronder…
(1) Entretien dans Le Monde, 19 mai 2016.
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