Appel contre le trafic d’armes : « Les victimes ne doivent pas être effacées par l’indifférence »
TRIBUNE. La famille d’Engin Günes, jeune homme tué en mai dans une fusillade à Marseille, et les habitants du quartier du plan d’Aou lancent un appel « pour que le débat sur le trafic d’armes soit remis au centre des préoccupations citoyennes et politiques ».
Il n’est pas dans l’ordre naturel des choses que les enfants partent avant les parents. En mai dernier, Engin nous quittait, fauché au printemps balbutiant de sa vie. Nous ne lançons pas cet appel pour parler du vide incommensurable qu’il a laissé dans le cœur de sa famille, de ses amis, de son quartier. Non, cette douleur relève de notre intimité et rien ne peut la soigner ou imaginer la guérir. Nous vivons désormais avec cette plaie béante et nous faisons avec, désormais elle nous structure, nous fait voir les choses différemment…
Au lendemain de sa mort, nous avons vu la solidarité et les larmes dans les yeux de gens que nous ne connaissions même pas. Nous avons compris que l’empathie est une notion qui transcende les différences et nous avons touché du doigt notre humanité dans toute sa fragilité.
Nous avons aussi vu, lu et entendu les débats, les mots qui parlaient de notre drame en particulier et plus largement de celui que nous partageons avec tant de famille à Marseille et ailleurs.
Nous avons subi la violence inouïe des mots insensés comme « règlement de compte » et « dommages collatéraux ». Et nous avons cherché à comprendre ce que ces mots signifiaient ou plutôt quel sens on leur donnait. Nous nous sommes forgé nos propres convictions sur le sujet et nous posons en retour, nous aussi des questions fondamentales :
• Parler de « règlement de compte » nous dédouane-t-il de nos responsabilités individuelles et collectives ? Utiliser cet artifice de langage rend-il plus simple l’appréhension de la complexité des mécanismes qui mènent à ces assassinats ? La mort violente de jeunes gens est-elle plus acceptable lorsqu’elle reste confinée à certains territoires et à certaines populations ? Nous nous offensons de la peine de mort pratiquée dans d’autres pays, au nom de notre universalisme républicain, dire « règlement de compte » adoucit-il cette abomination ?
• « Dommage collatéral » est un terme directement issu du jargon militaire et, si tel est le cas, dans quelle guerre qui ne dit pas son nom Engin et tant d’autres sont-ils morts ? Quel est ce théâtre d’opérations dissimulé et accepté par les pouvoirs publics ? Quels sont les enjeux de cette guerre et pourquoi les quartiers populaires doivent-ils s’accommoder de ce conflit qui se joue au milieu des familles, dans les rues de nos cités, les jardins, les cafés et lieux de vie que les fonctions régaliennes de l’État auraient dû, doivent et devront protéger ?
Nous sommes fatigués des atermoiements et des hésitations, des promesses qui n’engagent que ceux à qui elles sont faites ! Nous avions demandé que la mémoire de notre fils, notre frère, notre ami soit honorée de façon symbolique en renommant le stade de foot du plan d’Aou sur lequel il aimait jouait avec ses amis. Ce geste ne nous le ramènera pas, mais il atténuera la violence symbolique qui désincarne les victimes de nos quartiers qui ne doivent pas, en plus de la douleur, voir leurs vies effacées par l’oubli et l’indifférence ! Nous réitérons cette demande et nous sommes déterminés à ce que cette requête aboutisse rapidement. Nous utiliserons tous les moyens, en conscience et en dignité pour que cela se réalise !
Plus largement, nous voulons que des décisions soient prises et des moyens alloués à la lutte contre le trafic et la circulation d’armes dans nos quartiers ! La sécurité est un droit inaliénable du citoyen et jusqu’à preuve du contraire nos quartiers devraient bénéficier des mêmes droits et conditions d’existence que le reste du territoire !
La famille d’Engin Gunes, Collectif du plan d’Aou, SQPM (Texte lu à la presse par Oya Günes, sœur aînée d’Engin Günes, le 29 octobre 2018)
À suivre >> Notre reportage dans Politis n°1525 du 1er novembre
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