Au PCF, la guerre des textes
Appelés à se prononcer sur le document qui servira de base de travail pour leur prochain congrès, les militants communistes s’inquiètent des divisions au sein du parti.
dans l’hebdo N° 1521 Acheter ce numéro
Sont-ce les lendemains difficiles d’une Fête de l’Humanité réussie ou le congrès qu’il faut incriminer ? Les militants et dirigeants du Parti communiste français (PCF) ont en tout cas mal au crâne. Du 4 au 6 octobre, les 60 000 adhérents à jour de leurs cotisations que compte le parti devront déterminer le texte qui sera débattu lors du prochain congrès extraordinaire, qui se tiendra du 24 au 26 novembre à Ivry.
À la « Base commune », intitulée « Le communisme est la question du XXIe siècle » et adoptée par une courte majorité du Conseil national début juin, se sont ajoutés trois textes alternatifs portés par d’importantes figures du PCF : André Chassaigne et -Frédéric Boccara pour le « Manifeste du Parti communiste du XXIe siècle » ; Elsa Faucillon, Frédérick Genevée et Stéphane Peu pour « Se réinventer ou disparaître ! » ; Emmanuel Dang Tran, qui cosigne « PCF : reconstruire le Parti de classe ». Autant de textes que de façons d’envisager l’avenir du parti. Et qui divisent cadres et adhérents.
De fait, ces documents témoignent de visions très différentes. L’un plaide pour une ouverture plus large aux sujets de société et la création d’une plateforme collaborative (la Base commune), quand les autres réclament un sévère inventaire de l’action du Parti communiste ces dernières années (le « Manifeste »), une stratégie d’alliances à gauche incluant La France insoumise (« Se réinventer ou disparaître ») ou un retour aux fondamentaux du communisme (« PCF : reconstruire le Parti de classe »).
Si la multiplicité des textes n’est pas nouvelle, l’ambiance dans laquelle baignent les préparatifs du congrès l’est un peu plus. Des cadres dirigeants du parti, naguère peu loquaces, remettent ouvertement en question la direction nationale du PCF, tandis que circulent des chaînes d’e-mails critiquant vertement l’action de Pierre Laurent, secrétaire national depuis 2010 et candidat à un quatrième mandat. « C’est la première fois que je sens une ambiance aussi tendue, aussi crispée », constate Serge Gayssot, ancien secrétaire de la fédération de Lozère.
L’écommunisme, un impératif
Alors que les textes alternatifs ne récoltent en général guère plus d’un quart des votes des adhérents, le Manifeste pourrait bien dépasser ce score, s’il ne double pas la Base commune elle-même. « Nous avons organisé plusieurs votes avec les membres de notre fédération et, s’il y avait des voix pour chacun des textes, la Base commune et le Manifeste se détachaient clairement », indique Serge Gayssot.
« J’ai longtemps hésité avec le Manifeste », avoue Jeremie Demaline, responsable de l’organisation de la fédération du Loir-et-Cher, qui votera néanmoins pour la Base commune. Jugé « plus ouvert », « rassembleur », le texte du Conseil national a l’avantage de regrouper et d’aborder les thèmes chers aux communistes. « Il peut faire une bonne base de discussion », estime Jean-Luc Lecomte, secrétaire de la fédération de l’Eure. « Il faut que les communistes se retrouvent, qu’ils discutent, se mettent autour de la table », préconise une militante de la Drôme.
Car, si les sujets de désaccord sont nombreux, les points sur lesquels les militants se rassemblent, quels que soient les textes pour lesquels ils entendent voter, le sont tout autant. « Chaque communiste doit être habité par la certitude que l’écologie est un thème essentiel », poursuit la militante dromoise. Jadis tiraillés entre productivisme et prise en compte des enjeux environnementaux, les adhérents sont désormais unanimes : oui, l’écologie doit être au premier rang des combats du PCF. « L’écommunisme est un impératif », confirme un membre de la fédération de l’Ain. Et les représentants du parti de lui donner raison : à l’exception du texte « Reconstruire le Parti de classe », tous y font référence.
Les militants s’accordent aussi bien volontiers sur le féminisme, la lutte contre le racisme, la réintroduction des représentants communistes au sein de l’entreprise et l’inévitable dépoussiérage du PCF. « Nous ne sommes plus les moustachus qui font griller des merguez à la Fête de l’Humanité », s’amuse un adhérent de l’Ariège.
Dépoussiérer, nouer des alliances à gauche, dresser un bilan sincère des actions menées, redevenir un acteur incontournable sans pour autant dénaturer le socle politique et idéologique du Parti communiste… Autant de travaux herculéens – ou stakhanovistes, c’est selon – auxquels les militants communistes veulent s’attaquer. Et les vents soufflent en leur faveur, veulent-ils croire. Pour preuve, la réussite de l’édition 2018 de la Fête de l’Humanité, où, selon les organisateurs, 500 000 visiteurs se sont pressés. Des élus des autres partis politiques – PS, EELV, Génération·s – étaient présents au discours de Pierre Laurent. Seuls les cadres de la France insoumise (LFI) l’ont boudé, intervenant toutefois aux conférences dont ils étaient les invités.
Rien de surprenant, alors, à ce que le texte « Se réinventer ou disparaître », qui plaide pour un rassemblement des forces antilibérales dans lequel LFI « a évidemment sa place », ne remporte pas l’adhésion des militants communistes. Sur le programme tout d’abord. « Nous, les communistes, nous voulons de l’Europe ! », tranche Jeremie Demaline, « derrière ces histoires de plan A, plan B, c’est la sortie de l’Union européenne qui se dessine », estime-t-il. Sur la stratégie adoptée, ensuite. « Le moment populiste n’est pas une bonne chose », juge un militant de l’Ain. Sur de tenaces rancunes, enfin. Car les griefs à l’encontre de LFI sont plus profonds que des divergences politiques et stratégiques. Dans les mémoires, la fin du Front de gauche, mais surtout les élections législatives de 2017, où les négociations entre PCF et LFI n’ont pu aboutir et qui ont vu s’opposer les alliés de l’élection présidentielle dans des combats qualifiés par les militants PCF de « fratricides ».
Cette amertume, les adhérents la retournent aussi contre leur parti. « La direction nationale du PCF s’est laissé dessaisir d’une idée qui était la nôtre », attaque une militante de la Manche. « Les dirigeants ont sans doute été trop nonchalants face à Jean-Luc Mélenchon », estime Alain Guilbert, secrétaire départemental du PCF en Corrèze, qui votera pour le Manifeste. Le texte compte plus de 1 000 soutiens et a même reçu, la semaine dernière, celui d’Igor Zamichiei, secrétaire départemental de la fédération PCF de Paris.
Sursaut légitimiste
Nombreux sont les cadres qui reprochent au Conseil national du PCF et à son secrétaire, Pierre Laurent, de n’avoir pas su mener à bien les négociations avec la France insoumise. Pire, estiment-ils, la Base commune ne permet pas l’ouverture de discussions sur cet épisode et la nécessité d’en tirer les leçons. « Il nous faut un bilan, un projet, une direction », indique Alain Guilbert. S’ils se défendent de toute attaque ad hominem contre Pierre Laurent, cette remise en question de l’action de la direction nationale est perçue comme telle par bon nombre de militants. « Nos adhérents nous mettent en garde : dire “Pierre Laurent est mauvais” sans avancer d’autres arguments leur déplaît beaucoup », constate Jeremie Demaline. « Nous sommes tous comptables des échecs électoraux, des difficultés que nous rencontrons à nous adapter au monde politique d’aujourd’hui », renchérit Annick Le Poul, membre de la fédération de l’Essonne. Des craintes qui poussent les militants, fussent-ils mécontents, à opérer un sursaut légitimiste et à pencher en faveur du texte du Conseil national, en dépit de critiques qu’ils jugent -justifiées.
En cas de victoire de la Base commune, les discussions se poursuivront au Congrès. « On ne va pas se figer et rester campés sur nos positions », rassure Alain Guilbert. « Le PCF n’est pas un parti de courants et ne le deviendra pas », affirme Fabien Roussel, député du Nord, cosignataire du Manifeste, dont le nom revient souvent dans la bouche des militants s’il fallait remplacer le secrétaire national. « Je suis sollicité, confirme l’intéressé, mais ça n’est pas à l’ordre du jour. »
En cas de victoire d’un texte alternatif, il faudra pourtant se poser la question du maintien, ou non, de Pierre Laurent à la tête du PCF. « Ce n’est pas un bon orateur, mais c’est un bon organisateur, un rassembleur », plaide la militante de la Drôme. Reste à savoir s’il parviendra à rassembler suffisamment pour faire gagner la Base commune, apaiser les craintes des adhérents et mettre en sourdine la colère des cadres.