« Bureau des légendes » : Aux frontières du réel
La DGSE comme si vous y étiez ! Au cœur de la saison 4 du Bureau des légendes, la série de Canal + créée par Éric Rochant : les jihadistes français et la cyberguerre.
dans l’hebdo N° 1523 Acheter ce numéro
Le 10 octobre, des radios diffusaient le témoignage d’une mère de jihadiste soupçonnée d’avoir financé les attentats du 13 novembre. Difficile, en l’entendant, de ne pas penser à cette mère de jihadiste qui apparaît dans la saison 4 du Bureau des légendes. Celle-ci reçoit, méfiante, une agente de la DGSE se faisant passer pour la cousine d’un jihadiste à qui elle veut envoyer de l’argent. L’enjeu étant de remonter la filière française de financement de l’État islamique (EI) depuis un sinistre bureau de banlieue jusqu’à Mossoul.
Ces scènes lèvent un coin de voile sur un monde souterrain et effrayant, inconnu du commun des mortels. Une nouvelle fois, Le Bureau des légendes (LBDL pour les initiés) est en prise directe avec une actualité brûlante. Idem quand cette nouvelle saison de la série de Canal + illustre sur une carte numérique une véritable cyber-bataille express entre des geeks de la direction technique de la DGSE et des hackers russes intéressés par les processus -électoraux…
Les jihadistes français et le « cyber » sont les deux thèmes centraux des nouveaux épisodes de cette série qui est la première en France à atteindre un rythme de production annuel, comme les américaines. Ce qui suppose un travail de titan. Aidé par la DGSE ? « Tout est sur Internet », a simplement rétorqué Camille de Castelnau, à l’écriture avec Éric Rochant. Précision : « Si on sait, c’est que quelqu’un a bien voulu que ça se sache… » Si l’effet de réel est documenté jusqu’à l’infime détail, la fiction creuse les allers-retours entre la vérité et le mensonge autour de cet entre-deux idéal qu’est la « légende », soit l’avatar dans la peau duquel se glissent les agents en mission.
À la conférence de presse organisée par Canal + dans les sous-sols sans fenêtres du siège du Parti communiste à Paris – suggérant aux journalistes le sentiment d’être infiltrés –, la coscénariste s’est montrée modeste, nature et souriante. « Mais c’est vous, la fameuse Camille ! » s’est exclamé Mathieu Amalric, nouveau venu dans la série, où il joue JJA, directeur de la sécurité interne.
Du fait du rythme effréné de tournage entre la France, le Maroc et la Russie, tous les membres de l’équipe n’avaient pas eu l’occasion de se croiser. C’est donc dans une ambiance de retrouvailles qu’ils se sont prêtés au jeu des questions, néanmoins armés d’un recto-verso sur « ce que je peux dire/ne peux pas dire ». « J’ai tout de suite pensé à Mathieu Amalric pour le rôle de JJA, mais je n’étais pas sûre qu’il accepte », a confié Camille de Castelnau. « Bien sûr que je fais de la série ! », s’est étonné Mathieu Amalric, enchanté d’avoir rejoint LBDL.
Joie très partagée : « On tremble de mourir au combat et d’être ainsi exclu de la saison suivante », a rigolé Mathieu Kassovitz. « Les projets de cette qualité ne sont pas si nombreux », a-t-il assuré, révélant qu’intégrer LBDL, c’est le luxe, un must. « C’est aussi très studieux », a glissé Florence Loiret-Caille avec un sérieux proche de son personnage de Marie-Jeanne Dutilheul, directrice de la DGSE dans la saison 4.
« J’ai pas lu la fiche d’interdits », a bredouillé Mathieu Amalric. Le secret est le principal ressort de cette série sur des services secrets tiraillés entre leurs sentiments et la raison d’État. « Comment savoir si vous n’êtes pas un faux transfuge ? », demande le chef des services russes à Paul Lefevre, alias Malotru, alias Guillaume Debailly (Mathieu Kassovitz). « La guerre froide est finie », tente le Français. « Est-ce que je peux avoir une relation avec un de mes contacts ? », demande Marina Loiseau (Sara Giraudeau) à Raymond Sisteron (Jonathan Zaccaï). « Tu dois avoir une vie normale », lui conseille-t-il.
Pas une once d’improvisation dans LBDL. « Pour quoi faire ? C’est tellement bien écrit ! » se sont enthousiasmés Jonathan Zaccaï et Mathieu Amalric : « Shakespeare, Feydeau, Courteline ! », s’est enflammé ce dernier en évoquant un « opéra » côté texte. Côté jeu : « Éric [Rochant] répétait : c’est comme dans la vie. Pensez à des médecins ou à des infirmières. »
Seul Mathieu Kassovitz se serait permis une suggestion : « La quatrième saison devait s’ouvrir par un plan serré sur Malotru, à plat ventre, frappé sur le dos. Le plan s’élargissait sur un hammam. Mais un homme qui a été torturé par l’EI ne se laisserait pas frapper… » « Mon apport au Bureau des légendes ? a réfléchi la cinéaste Pascale Ferran, réalisatrice en chef de cette saison. J’étais entièrement dévouée à la réalisation : quelle lumière, quel plan… »
« Au service de » : l’expression est revenue souvent pendant cette conférence de presse. « Pour le personnage de JJA, j’avais en tête Javert des Misérables », a raconté Camille de Castelnau, plus littéraire que cyber. Elle s’y est mise, pourtant, et le cyber est devenu un enjeu de suspense, notamment autour du personnage de César, sorte de Mr. Robot frenchie, tout juste sorti du lycée.
Pour percer les carapaces : une volonté d’humaniser les agents. Malotru qui s’assied, tremblant, en apprenant la mort d’Henri Duflot (Jean-Pierre Darroussin, disparu dans la saison 3). Ou Jonas, l’analyste Syrie, le gars de bureau, suffoquant de trouille devant une rue surveillée par des snipers… Le prisme de la fiction permet de laisser transparaître des personnalités, des états d’âme. Mais il n’est pas si facile de trouver des scénaristes pour ciseler. « Le métier est encore en formation en France », a confié Éric Rochant, réfléchi, presque sévère… comme en mission.
Le Bureau des légendes, Éric Rochant, série Canal +, saison 4, 10 épisodes, à partir du 22 octobre.